Le Centenaire de Lamartine

 

DES millions de fois les cieux sont centenaires.
Nous sommes, fils d’Adam, pareils aux éphémères
Dont les chauds tourbillons vibrent, l’été, dans l’air ;
Et cent ans pleins de faits dans l’histoire du monde
Ne durent, devant Dieu, qu’un souffle, une seconde,
Le rapide instant d’un éclair.

Pourtant, l’être chétif qui naît, s’agite et. passe,
Ce rien dans la durée et ce rien dans l’espace,
Jeté comme une plume à l’onde des torrents,
Peut resplendir, s’il est marqué par le génie,
Dans l’avenir lointain, d’une gloire infinie ;
Et l’homme et le siècle sont grands.

Au lever radieux de l’âge dont nous sommes,
Ce fut l’explosion des esprits et des hommes,
― Quelle aurore emplissant de clartés tout l’azur ! ―
Et dans le groupe élu qu’un signe prédestine,
Ton front sous le laurier se dresse, ô Lamartine,
L’un des plus hauts et le plus pur.

Après tant d’échafauds, après tant de batailles,
Quand la France saignait encor par mille entailles,
Tout à coup une voix suave s’entendait.
Sur la lyre oubliée et si longtemps muette,
Tu préludais... Enfin ! C’était un vrai poète !
C’était une âme qui chantait !

De l’art ? Non. Plus et mieux. C’était le don suprême
Et l’inspiration prise à sa source même ;
Le vers pur, chaste, noble, harmonieux toujours,
Et toujours ― qu’il chantât l’élégie ou le psaume ―
Sublime sans effort, comme la fleur embaume,
Comme le fleuve suit son cours !

Tu disais ta prière ; et toutes les pensées
Se croyaient par un chant du Paradis bercées.
L’infini, c’était Dieu ; la nature, l’autel.
Tu pleurais tes amours ; et tous les cœurs de femmes
Palpitaient en suivant la cadence des rames
Qui frappent ton « Lac » immortel.

Toujours, toujours plus haut, comme un aigle s’élève,
Tu planais. L’homme est grand, as-tu dit, par le rêve.
Peut-être, dieu tombé, du ciel se souvient-il !
Toi du moins, tu gardas ta céleste origine,
O charmeur, et ta voix d’ange, ta voix divine,
Nous console dans notre exil.

Jeune et prodigue, alors, ah ! que ta vie est belle !
Dans les pays dorés dont la clarté t’appelle,
Tes chefs-d’œuvre sont faits aussitôt que conçus.
Puis, par les mers d’azur, roi de la Poésie,
Tu pars et vas baiser, sur la terre d’Asie,
La trace des pas de Jésus.

Mais la France a besoin de toi pour son service.
Plein de l’amour du peuple et prêt au sacrifice,
Te voici, grand tribun, sur les rostres monté.
La houle des partis en bas s’agite et gronde ;
Le Poète ne sert que deux causes au monde :
La Justice et la Liberté.

Un trône est renversé ; nous courons à l’abîme...
Pauvre homme de génie, ô cœur simple et sublime,
Je songe à tes vieux jours par tant d’ombre envahis,
A notre oubli coupable, à ta fin triste et noire !...
Ah ! proclamons, devant ton auguste mémoire,
Qu’alors tu sauvas ton pays.

Le lendemain : « Assez de rêveurs ! Trop de lyre ! »
Disait-on. Ils sont prêts, sans doute, à le redire,
Ceux dont la politique est la profession.
Point de lyre aujourd’hui ! L’absence est trop certaine.
Nuls rêveurs ! Mais où sont la voix de Démosthène
Et les vertus de Phocion ?

Tu les eus, Lamartine, en cette heure d’alarmes ;
A l’Europe irritée, et la main sur ses armes,
Comme un gage de paix tu montras l’idéal :
La République probe, indulgente, sereine ;
La Concorde entre tous, la fraternité reine,
L’âge d’amour, la fin du mal.

Oh ! quel réveil affreux, quand la guerre civile
Sous l’étendard sanglant vint à l’Hôtel de Ville !
Mais que tu fus alors noble, intrépide et beau !
Par ton verbe de feu l’émeute apostrophée
Recula. Que pouvaient les monstres, quand Orphée
Avait la garde du drapeau ?

Hélas ! Autour du juste on fait bientôt le vide.
Les coquilles sont là, prêtes pour Aristide.
C’est le morne abandon, c’est le funèbre soir !
Salut ! grand citoyen, calme sous les injures,
Qui t’en vas dignement, sans plaintes, les mains pures,
Et qui sors pauvre du pouvoir !

Dirai-je tes vingt ans de vieillesse attristée,
Tes chagrins, ta maison de famille quittée,
Pour un peu d’or, avec des larmes de douleur ?...
Qu’on fut ingrat !... Mais non, point de parole amère !
Tu n’en as dit aucune, et tu savais qu’Homère
Serait moins grand sans le malheur.

Ne songeons qu’au triomphe ! Enfin, justice est faite !
Le jour où tu naquis met ta patrie en fête.
Elle honore ton nom, l’acclame et le bénit.
Ton œuvre nous voit tous inclinés devant elle,
Poète, et te voici dans la gloire immortelle
Que chaque siècle rajeunit.

Collection: 
1862

More from Poet

  • O poète trop prompt à te laisser charmer,
    Si cette douce enfant devait t'être ravie,
    Et si ce coeur en qui tout le tien se confie
    Ne pouvait pas pour toi frémir et s'animer ?

    N'importe ! ses yeux seuls ont su faire germer
    Dans mon âme si lasse et de tout assouvie...

  • J'écris près de la lampe. Il fait bon. Rien ne bouge.
    Toute petite, en noir, dans le grand fauteuil rouge,
    Tranquille auprès du feu, ma vieille mère est là ;
    Elle songe sans doute au mal qui m'exila
    Loin d'elle, l'autre hiver, mais sans trop d'épouvante,
    Car je suis...

  • Champêtres et lointains quartiers, je vous préfère
    Sans doute par les nuits d'été, quand l'atmosphère
    S'emplit de l'odeur forte et tiède des jardins ;
    Mais j'aime aussi vos bals en plein vent d'où, soudains,
    S'échappent les éclats de rire à pleine bouche,
    Les polkas...

  • Songes-tu parfois, bien-aimée,
    Assise près du foyer clair,
    Lorsque sous la porte fermée
    Gémit la bise de l'hiver,

    Qu'après cette automne clémente,
    Les oiseaux, cher peuple étourdi,
    Trop tard, par un jour de tourmente,
    Ont pris leur vol vers le Midi ;...

  • Captif de l'hiver dans ma chambre
    Et las de tant d'espoirs menteurs,
    Je vois dans un ciel de novembre,
    Partir les derniers migrateurs.

    Ils souffrent bien sous cette pluie ;
    Mais, au pays ensoleillé,
    Je songe qu'un rayon essuie
    Et réchauffe l'oiseau...