La Tombe de Virgile

Je suis au but ! mes pas ont touché l’Italie.
Par le feu d’un beau ciel la nature embellie
Des langueurs du sommeil va tirer mes pinceaux ;
Mon luth s’élancera vers des accents nouveaux ;
Oui, je veux, à l’oubli condamnant ma tristesse,
Retrouver les transports de ma fraîche jeunesse ;
Mon cœur bat d’avenir, et du besoin des cieux ;
La gaîté de la vie éclate dans mes yeux ;
Déjà les passions, qui dormaient dans mes veines,
Réveillent les anneaux de leurs brûlantes chaînes ;
Le passé tout entier se ranime en un jour,
Et mon bonheur encore a les traits de l’amour.

Ainsi je m’écriais, quand, le long du rivage,
Qu’avait à peine encore effleuré mon voyage,
De l’Homère latin je cherchais le tombeau :
Mais en vain, de mon cœur soulevant le fardeau,
Je voulais m’agiter d’une sorte de joie,
L’ennui, comme un vautour, avait repris sa proie.
Le Vésuve encor blanc des neiges de l’hiver,
Les monts de Castel-Mar, dont le pied toujours vert
Semble de loin dormir sur la vague roulante,
N’enchantaient déjà plus ma pensée indolente.
Je croyais tressaillir sur un sol embaumé,
Et j’avais cru qu’un air, de génie enflammé,
Ferait, en m’inondant de sa clarté nouvelle,
D’un flambeau presque éteint jaillir une étincelle ;
Mais rien d’un feu nouveau ne venait m’avertir,
Et sans être arrivé, j’aurais voulu partir.
Tandis que j’avançais vers cette solitude,
Qu’implorent de si loin le travail et l’étude,
Mes yeux, du Pausilippe abordant la hauteur,
Y cherchèrent l’autel du coteau protecteur ;

Alors je vis la tombe où mon humble prière
Allait du grand poète invoquer la poussière,
Et déjà plein du dieu qu’admire l’univers,
Comme pour l’adorer, je répétais ses vers.
Les amandiers, courbés sous leur blanche parure,
Et du printemps en fleurs la première verdure,
Ombragèrent mes pas jusqu’au fond des vergers,
Où dort le chantre heureux des bois et des bergers.
N’ai-je point dû frémir d’une ardeur inquiète,
Sur ce sol consacré qui doit rendre poète ?
Morne, hélas ! et plus froid que le marbre glacé,
Où le nom de Virgile est le seul effacé,
Sans pouvoir de sa cendre arracher quelque flamme,
Du désir de penser je tourmentais mon âme.
L’aspect d’un beau pays, si pur, si jeune encor,
Qu’il faut y voir mourir, pour y croire à la mort,
Cet asile où Pétrarque, inclinant son génie,
Vint d’un nouveau langage inventer l’harmonie ;
Ce monument sacré, ce temple, ce tombeau,
Que le Tasse, peut-être, aperçut du berceau,

Rien n’a pu, réveillant ma paupière alourdie,
Ramener quelques pleurs sur ma lyre engourdie.
Vous, qui vous souvenez du laurier qu’en ces lieux
Avait planté d’Arqua le fils harmonieux,
Vous n’y trouverez plus son ombre solennelle :
Cet arbre de la gloire est plus fragile qu’elle ;
L’espace qu’il couvrait sous la ronce est caché.
Autrefois poétique, et des muses cherché,
Le lierre indifférent semble les méconnaître,
Rampe autour de leur temple, et le dégrade en maître
Sous l’humide gazon qui surcharge le seuil,
J’aperçus à mes pieds la violette en deuil,
Je cherchai son parfum ; mais elle était de celles
Qui vivent pour nos yeux, et n’ont pas, quoique belles,
Ce langage embaumé que nous parlent les fleurs ;
Muette comme moi sous ses sombres couleurs,
J’y fus presque sensible, et de mon beau voyage
Je n’ai rien rapporté, que cette fleur sauvage.

Collection: 
1817

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