La Peur de vieillir

 

JE vous évoque, seule en votre chambre, un soir,
Avec angoisse, interrogeant votre miroir.
Vous redressez le buste ou vous penchez la tête,
Et le cristal, docile à vos gestes, répète
La blancheur de vos bras, l’éclat noir de vos yeux,
Votre cou, votre bouche exquise, vos cheveux…
Tout est jeune et joli, tout respire la grâce !
Le mouvement, aisé comme une aile qui passe,
Est léger comme un rythme et souple comme lui !
Qu’est-ce donc qui vous fait anxieuse aujourd’hui ?
Vous êtes bien, pourtant, debout devant vous-même,
Et le miroir vous dit votre beauté suprême…

Une crainte soudaine est venue assaillir
Votre âme : c’est la peur affreuse de vieillir !
L’image du miroir ne vous est plus bien sûre,
Et vous cherchez un autre avis qui vous rassure…
Mais moi qui connais l’homme et sa brutalité,
Je sais où vos devez chercher la vérité.

La glace complaisante et passive reflète
L’image variable et que vous avez faite.
Elle ne contredit jamais votre plaisir
Et mire, plus que vous, votre vivant désir.
Et la réalité constante vous échappe,
Celle que d’une empreinte ineffaçable frappe
Le Temps, incorruptible ouvrier de la Mort !
Pour savoir si vous êtes jeune et belle encor,
Ce n’est pas au miroir, peu véridique en somme,
Qu’il faut vous regarder, c’est dans les yeux des hommes !
Eux, dont les cœurs de chair vous considéreront,
Avec leurs appétits brutaux vous jugeront !
Et vous n’aurez alors, jeune ou vieille, qu’à lire
Dans leur regard cruel qui dédaigne ou désire…

Collection: 
1898

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