La mort n’existe pas. ― Quand l’astre-roi s’éteint
Au ponant empourpré des reflets de sa robe,
Quand le jour pâlissant à nos yeux se dérobe
En noyant dans son sang radieux le lointain,
C’est pour aller renaître à l’autre bout du globe.
Rien ne meurt à jamais, rien à jamais ne fuit ;
La goutte d’eau qui monte au ciel du précipice,
Captive du rayon que le soleil y glisse,
Peut redescendre en perle, au milieu de la nuit,
Dans le lis altéré qui lui tend son calice.
Les feuilles des forêts tombent comme des pleurs,
Et l’orme dépouillé semble au loin un squelette.
Tout est fané, gazon, jasmin et violette ;
Mais Floréal toujours ressuscite les fleurs
Et redonne aux bosquets frissonnants leur toilette.
Les fleuves débordés submergent les grands monts,
Et rien n’apparaît plus sur l’onde où tout se noie ;
Mais soudain l’arc-en-ciel au firmament chatoie,
Et la terre du sein des flots lourds de limons
Émerge et de nouveau brille et frémit de joie.
Par l’ouragan farouche un chêne est renversé :
Un rejeton en sort, croît et se ramifie.
L’émondeur, en blessant le cep, le fortifie.
L’herbe pousse plus drue où la faux a passé ;
Rien ne peut étouffer le germe de la vie.
Tirez du fond des mers un fragment de corail,
Laissez-le retomber sur un lit de calcaire ;
La fleur du polypier, arrachée à sa mère,
Par un mystérieux et persistant travail,
Reforme un nouvel arbre au sein de l’onde amère.
Frappez avec le fer le vieux pin de l’Armor,
Qui porte jusqu’au ciel sa tête vénérable,
Enfoncez la cognée au flanc de notre érable,
Et l’arbre résineux verse tout un trésor,
Et le bois canadien un miel incomparable.
La pourriture même a sa fécondité ;
Des germes tout-puissants sortent parfois des tombes ;
Bonaparte rayonne après des hécatombes
Dont l’horreur fait encor frémir l’humanité,
L’Église brille après la nuit des catacombes.
La mort n’existe pas ! la mort n’existe pas !
Tout sur terre évolue et se métamorphose ;
L’aile du papillon de la larve est éclose ;
La poudre du chemin, que soulèvent nos pas,
Se transforme et devient fruit, graminée ou rose.
Tout est fécond, coteau, val, fange, arbre embaumé.
Tout palpite, le luth, le flot, l’aile, la feuille,
Le printemps qui sourit, l’automne qui s’endeuille ;
Le lourd rocher muet est lui-même animé ;
Tout vit, le grain qui germe et la fleur que l’on cueille.
Et les mondes lointains dont sont peuplés les cieux,
Et pour qui notre terre est moins qu’une étincelle,
Gravitant dans l’éther où leur flamme ruisselle,
Sans suspendre jamais leur cours majestueux,
Prouvent l’éternité de l’âme universelle.
La mort n’existe pas ! la mort n’existe pas !
Le père disparu dans l’enfant vit encore ;
Le cœur broyé conserve une fibre sonore,
Et ce que nous nommons, en tremblant, le trépas,
Au lieu d’être un couchant, est un lever d’aurore.
Ceux que nous chérissions ont clos leurs yeux lassés,
Et dorment en un coin du sombre cimetière.
Ils sont ensevelis à jamais sous la pierre,
Mais ils vivent toujours, car les doux trépassés
Au soleil éternel ont rouvert leur paupière.
Non, ils ne sont pas morts. Ils vivent désormais
Dans un lieu plus serein, une sphère plus ample.
En laissant derrière eux un immortel exemple,
Ils ont, un jour, atteint le sommet des sommets
D’où leur œil, enivré d’infini, nous contemple.
Ainsi que des oiseaux ils se sont envolés
Vers un ciel plus clément, vers un bord plus fertile.
Ils ont enfin trouvé l’impérissable asile.
Pour aller revêtir les manteaux étoilés,
Ils ont laissé tomber leurs vêtements d’argile.
Ils nous aiment toujours, ils nous suivent partout.
Ils sont restés pour nous les compagnons fidèles,
Attachés à nos toits comme les hirondelles.
Et parfois nous croyons entendre tout à coup
Le timbre de leur voix et le bruit de leurs ailes.
Et lorsque nous tombons ployés par les regrets,
Lorsque nous gémissons sous le poids de la chaîne
Qu’au bagne de la vie incessamment l’on traîne,
Ils viennent se pencher, la nuit, à nos chevets,
Et nous croyons sentir sur nos fronts leur haleine.
Des bords mystérieux où commence le ciel
Ils nous disent de fuir le terrestre esclavage :
Tels de blancs albatros, dans l’ombre d’une plage,
De moment en moment jettent des cris d’appel
À des oiseaux restés sur un autre rivage.
Et, guidés par leurs voix, soutenus par leurs bras,
Nous gravirons, un jour, la montagne éternelle,
Après avoir brisé l’enveloppe charnelle
Qui nous fait chanceler si souvent ici-bas…
Mais quand donc sonnera cette heure solennelle ?
Quand donc va retentir dans les airs notre glas ?
Quand donc, chers trépassés, viendra la délivrance ?
Quand donc auront enfin cessé les durs combats ?
Qu’importe le moment ! Nous gardons l’espérance…
La mort n’existe pas ! la mort n’existe pas !