Les marronniers de la terrasse
Vont bientôt fleurir, à Saint-Jean,
La villa d’où la vue embrasse
Tant de monts bleus coiffés d’argent.
La feuille, hier encor pliée
Dans son étroit corset d’hiver,
Met sur la branche déliée
Les premières touches de vert.
Mais en vain le soleil excite
La sève des rameaux trop lents ;
La fleur retardataire hésite
À faire voir ses thyrses blancs.
Pourtant le pêcher est tout rose,
Comme un désir de la pudeur,
Et le pommier, que l’aube arrose,
S’épanouit dans sa candeur.
La véronique s’aventure
Près des boutons d’or dans les prés,
Les caresses de la nature
Hâtent les germes rassurés.
Il me faut retourner encore
Au cercle d’enfer où je vis ;
Marronniers, pressez-vous d’éclore
Et d’éblouir mes yeux ravis.
Vous pouvez sortir pour la fête
Vos girandoles sans péril.
Un ciel bleu luit sur votre faîte
Et déjà mai talonne avril.
Par pitié, donnez cette joie
Au poète dans ses douleurs,
Qu’avant de s’en aller, il voie
Vos feux d’artifice de fleurs.
Grands marronniers de la terrasse,
Si fiers de vos splendeurs d’été,
Montrez-vous à moi dans la grâce
Qui précède votre beauté.
Je connais vos riches livrées
Quand Octobre, ouvrant son essor,
Vous met des tuniques pourprées,
Vous pose des couronnes d’or.
Je vous ai vus, blanches ramées,
Pareils aux dessins que le froid
Aux vitres d’argent étamées
Trace la nuit avec son doigt.
Je sais tous vos aspects superbes,
Arbres géants, vieux marronniers,
Mais j’ignore vos fraîches gerbes
Et vos arômes printaniers...
Adieu ! je pars, lassé d’attendre ;
Gardez vos bouquets éclatants !
Une autre fleur, suave et tendre,
Seule à mes yeux fait le printemps.
Que mai remporte sa corbeille !
Il me suffit de cette fleur :
Toujours pour l’âme et pour l’abeille
Elle a du miel pur dans le cœur ;
Par le ciel d’azur ou de brume,
Par la chaude ou froide saison,
Elle sourit, charme et parfume,
Violette de la maison !