La Douceur

Connaissez-vous ces beaux soirs d’or,
Où les anges voilent les yeux du jour,
L’été, quand on aime, d’un lent amour,
Ceux d’autrefois à qui l’on a fait tort :
Les doux, qui se donnèrent, sans envie,
Et dont aucun ne se découragea,
Bien que souvent, on affligeât
Leur cœur, pour se prouver, avec hargne, sa vie.

Ils étaient bons jusqu’à lasser,
Et pardonnant jusqu’à froisser.

Leurs cœurs naïfs et inventifs
De bienveillance et de tendresse,
Se dévouaient, avec des mots presque sacrés.

En leurs yeux purs et assurés,
Où se mouillaient des regrets de caresses,
Se maintenait la confiance
Intacte encor de la première enfance.

Ils arrivaient, du côté du matin,
Avec le rêve, en eux, des temps lointains,
Où les lèvres des fleurs et des corolles
Parlaient, avec des banderolles,
Selon la loi, qui fait timides les paroles.

Ils étaient blancs d’une lumière
Dont la flamme dormait, au berceau de la terre ;
Ils étaient forts d’une autre joie
Que celle, hélas ! qui tient, entre ses mains,
Des fleurs rouges, comme des proies.

Et leurs pas lents suivaient, par nos chemins,
L’empreinte d’or dont les Jésus, sans doute,
Au temps des saints, avaient marqué la route.
Aussi vécurent-ils, sans nulle plainte,

Dupes du monde — et néanmoins
Voulant toujours porter, plus loin,
L’offrande à tous de leur douceur sans crainte.

Mais aujourd’hui qu’ils sont les morts,
Loin des dédains et loin des haines,
— En ces heures de beaux soirs d’or
Où les anges voilent les yeux du jour —
Hélas, comme au-delà de l’heure humaine,
On les aime d’un triste et régressif amour.

On les rêve, là-bas, vêtus de laines,
Auprès des vierges et des fleurs,
En des jardins ornant des plaines
Et descendant, vers la rivière,
Mirer les rosiers blancs de la prière.

Ils habitent les pays de clarté
Qui sont leur âme
Revenue à son essence et sa flamme ;
Leur âme de candeur et de bonté,
Que personne, durant leur passage sur terre,
N’a visitée.
Leur voix n’a rien changé à son mystère,
Leurs yeux profonds et assidus n’ont rien perdu

De la sereine violence
De leur silence.

Ils nous hèlent, là haut, parmi les firmaments,
Bien qu’on voudrait
Les voir renaître, ici, pour s’en aller, auprès,
Dès à présent,
Se repentir, profondément.

Et rêvant d’eux, en ce décor d’or sombre,
Où les anges ferment, avec de l’ombre,
Les yeux du jour,
Le cœur trop longtemps clos, à leur amour
Se donne,
Tandis que, dans la paix du soir,
Leur tranquille mémoire
Toujours plus douce, nous pardonne.

Collection: 
1899

More from Poet

  • Le corps ployé sur ma fenêtre,
    Les nerfs vibrants et sonores de bruit,
    J'écoute avec ma fièvre et j'absorbe, en mon être,
    Les tonnerres des trains qui traversent la nuit.
    Ils sont un incendie en fuite dans le vide.
    Leur vacarme de fer, sur les plaques des ponts,...

  • Lorsque la pourpre et l'or d'arbre en arbre festonnent
    Les feuillages lassés de soleil irritant,
    Sous la futaie, au ras du sol, rampe et s'étend
    Le lierre humide et bleu dans les couches d'automne.

    Il s'y tasse comme une épargne ; il se recueille
    Au coeur de la...

  • D'énormes espaliers tendaient des rameaux longs
    Où les fruits allumaient leur chair et leur pléthore,
    Pareils, dans la verdure, à ces rouges ballons
    Qu'on voit flamber les nuits de kermesse sonore.

    Pendant vingt ans, malgré l'hiver et ses grêlons,
    Malgré les gels...

  • Les horizons cuivrés des suprêmes automnes
    Meurent là-bas, au loin, dans un carnage d'or.
    Où sont-ils les héros des ballades teutonnes
    Qui cornaient, par les bois, les marches de la Mort ?

    Ils passaient par les monts, les rivières, les havres,
    Les burgs - et...

  • Oh ! la maison perdue, au fond du vieil hiver,
    Dans les dunes de Flandre et les vents de la mer.

    Une lampe de cuivre éclaire un coin de chambre ;
    Et c'est le soir, et c'est la nuit, et c'est novembre.

    Dès quatre heures, on a fermé les lourds volets ;
    Le mur est...