La Comédie de la Mort/Chapitre 2

 
Dans le fond de mon âme, agitant ma pensée,
Je restais là rêveur et la tête baissée
        Debout contre un tombeau.
C'était un marbre neuf, et sur la blanche épaule
D'un génie éploré, les longs cheveux d'un saule
        Tombaient comme un manteau.

La bise feuille à feuille emportait la couronne
Dont les débris jonchaient le fût de la colonne ;
        On aurait dit les pleurs
Que sur la jeune fille, au printemps moissonnée,
Pauvre fleur du matin, avant midi fanée,
        Versaient les autres fleurs.

La lune entre les ifs faisait luire sa corne ;
De grands nuages noirs couraient sur le ciel morne
        Et passaient par devant ;
Les feux follets valsaient autour du cimetière,
Et le saule pleureur secouait sa crinière
        Éparpillée au vent.

On entendait des bruits venus de l'autre monde,
Des soupirs de terreur et d'angoisse profonde,
        Des voix qui demandaient
Quand donc à leurs tombeaux l'on mettrait des fleurs neuves,
Comment allait la terre, et pourquoi donc leurs veuves
        Aussi longtemps tardaient ?

Tout à coup... j'ose à peine en croire mon oreille,
Sous le marbre entr'ouvert, ô terreur ! ô merveille !
        J'entendis qu'on parlait.
C'était un dialogue, et, du fond de la fosse,
A la première voix, une voix aigre et fausse
        Par instant se mêlait.

Le froid me prit. Mes dents d'épouvante claquèrent ;
Mes genoux chancelants sous moi s'entrechoquèrent.
        Je compris que le ver
Consommait son hymen avec la trépassée,
Eveillée en sursaut dans sa couche glacée,
        Par cette nuit d'hiver.

LA TRÉPASSÉE.

Est-ce une illusion ? Cette nuit tant rêvée,
La nuit du mariage elle est donc arrivée ?
        C'est le lit nuptial.
Voici l'heure où l'époux, jeune et parfumé, cueille
La beauté de l'épouse, et sur son front effeuille
        L'oranger virginal.

LE VER.

Cette nuit sera longue, ô blanche trépassée,
Avec moi, pour toujours, la mort t'a fiancée ;
  Ton lit c'est le tombeau.
Voici l'heure où le chien contre la lune aboie,
Où le pâle vampire erre et cherche sa proie,
  Où descend le corbeau.

LA TRÉPASSÉE.

Mon bien-aimé, viens donc ! l'heure est déjà passée
Oh ! tiens-moi sur ton cœur, entre tes bras pressée.
        J'ai bien peur, j'ai bien froid.
Réchauffe à tes baisers ma bouche qui se glace.
Oh ! viens, je tâcherai de te faire une place
        Car le lit est étroit !

LE VER.

Cinq pieds de long sur deux de large. La mesure
Est prise exactement ; cette couche est trop dure,
        L'époux ne viendra pas.
Il n'entend pas tes cris. Il rit dans quelque fête.
Allons, sur ton chevet repose en paix ta tête
        Et recroise tes bras.

LA TRÉPASSÉE.

Quel est donc ce baiser humide et sans haleine,
Cette bouche sans lèvres est-ce une bouche humaine,
        Est-ce un baiser vivant ?
O prodige ! A ma droite, à ma gauche, personne.
Mes os craquent d'horreur, toute ma chair frissonne
        Comme un tremble au grand vent.

LE VER.

Ce baiser c'est le mien : je suis le ver de terre ;
Je viens pour accomplir le solennel mystère.
        J'entre en possession ;
Me voilà ton époux, je te serai fidèle.
Le hibou tout joyeux fouettant l'air de son aile
        Chante notre union.

LA TRÉPASSÉE.

Oh ! si quelqu'un passait auprès du cimetière !
J'ai beau heurter du front les planches de ma bière,
        Le couvercle est trop lourd !
Le fossoyeur dort mieux que les morts qu'il enterre.
Quel silence profond ! la route est solitaire ;
        L'écho lui-même est sourd.

LE VER.

A moi tes bras d'ivoire, à moi ta gorge blanche,
A moi tes flancs polis avec ta belle hanche
        A l'ondoyant contour ;
A moi tes petits pieds, ta main douce et ta bouche,
Et ce premier baiser que ta pudeur farouche
        Refusait à l'amour.

LA TRÉPASSÉE.

C'en est fait ! c'en est fait ! Il est là ! sa morsure
M'ouvre au flanc une lame et profonde blessure ;
        Il me ronge le cœur.
Quelle torture ! O Dieu, quelle angoisse cruelle !
Mais que faites-vous donc lorsque je vous appelle,
        O ma mère, ô ma sœur ?

LE VER.

Dans leur âme déjà ta mémoire est fanée,
Et pourtant sur ta fosse, ô pauvre abandonnée,
        L'oranger est tout frais.
La tenture funèbre à peine repliée,
Comme un songe d'hier elles t'ont oubliée,
        Oubliée à jamais.

LA TRÉPASSÉE.

L'herbe pousse plus vite au cœur que sur la fosse ;
Une pierre, une croix, le terrain qui se hausse,
        Disent qu'un mort est là.
Mais quelle croix fait voir une tombe dans l'âme !
Oubli ! seconde mort, néant que je réclame,
        Arrivez, me voilà !

LE VER.

Console-toi.--La mort donne la vie.--Eclose
A l'ombre d'une croix l'églantine est plus rose
        Et le gazon plus vert.
La racine des fleurs plongera sous tes côtes ;
A la place où tu dors les herbes seront hautes ;
        Aux mains de Dieu tout sert !

Un mort qu'ils réveillaient les pria de se taire ;
Un pâle éclair parti non du ciel mais de terre
        Me fit dans leurs tombeaux
Voir tous les trépassés cadavres ou squelettes,
Avec leurs os jaunis ou leurs chairs violettes,
        S'en allant par lambeaux ;

Les jeunes et les vieux, peuple du cimetière,
Pauvres morts oubliés n'entendant sur leur pierre
        Gémir que l'ouragan,
Et dévorés d'ennui dans leur froide demeure,
De leurs yeux sans regard cherchant à savoir l'heure
        A l'éternel cadran.

Puis tout devint obscur, et je repris ma route,
Pâle d'avoir tant vu, plein d'horreur et de doute,
        L'esprit et le corps las ;
Et me suivant partout, mille cloches fêlées,
Comme des voix de mort me jetaient par volées
        Les râlements du glas.

Collection: 
1831

More from Poet

  • Ó, asszonyom, nem önt szeretem én, de még a bájos Julia se bájol, nem félek a fehér Opheliától és nem gyulok fel Laura szemén. A kedvesem ott él Kínába kinn; agg szüleivel lakik ő nyugodtan egy hosszú, vékony porcellántoronyban a Sárga-folyó zúgó partjain. Ferdült szemében álmodó szigor,...

  • Je vis cloîtré dans mon âme profonde,
    Sans rien d'humain, sans amour, sans amis,
    Seul comme un dieu, n'ayant d'égaux au monde
    Que mes aïeux sous la tombe endormis !
    Hélas ! grandeur veut dire solitude.
    Comme une idole au geste surhumain,
    Je reste là, gardant...

  • Sur le coteau, là-bas où sont les tombes,
    Un beau palmier, comme un panache vert,
    Dresse sa tête, où le soir les colombes
    Viennent nicher et se mettre à couvert.

    Mais le matin elles quittent les branches ;
    Comme un collier qui s'égrène, on les voit
    S'...

  • Notre-Dame
    Que c'est beau !
    Victor HUGO

    En passant sur le pont de la Tournelle, un soir,
    Je me suis arrêté quelques instants pour voir
    Le soleil se coucher derrière Notre-Dame.
    Un nuage splendide à l'horizon de flamme,
    Tel qu'un oiseau géant qui va...

  • Seul un homme debout auprès d'une colonne,
    Sans que ce grand fracas le dérange ou l'étonne,
    A la scène oubliée attachant son regard,
    Dans une extase sainte enivre ses oreilles.
    De ces accords profonds, de ces hautes merveilles
    Qui font luire ton nom entre tous, - ô...