La Chasse d’hiver

 
La nuit d’hiver descend sur le grand bois mouvant.
Du ciel blafard la neige à flots tombe, et le vent
Siffle et hurle à travers les troncs couverts de glace
Des arbres dépouillés qui tordent dans l’espace
Leurs longs bras forcenés comme de noirs démons.
L’ouragan, dévalant de la cime des monts,
De rires effrayants et de sanglots funèbres
Emplit l’immensité livide des ténèbres.
Un craquement sinistre éclate quelquefois
Dans les ormes ployés et les pins, aux abois
Et les grands sapins verts, en secouant leurs branches,

Font souvent à leurs pieds crouler des avalanches
Dont le bruit va se perdre au fond des antres sourds.

Et la neige, flottant, errant, tombe toujours.

Tout à coup, dominant les clameurs des rafales,
Un soufflement d’enfer, entrecoupé de râles,
Met le comble à l’horreur du bois vertigineux,
Et bientôt, débouchant d’un hallier résineux,
Un orignal géant, la narine fumante
Et les jarrets saignants, passe dans la tourmente,
Poursuivi de bien loin par un chasseur nerveux,
Des raquettes aux pieds, de la glace aux cheveux.
 
Frôlant les arbrisseaux, les rochers et les souches,
L’homme et le fauve vont ardents, fiévreux, farouches,
A travers la montagne et la plaine et le val.

Le braconnier, depuis l’aube, court l’orignal,
Et le soir est tombé sur le bois qui s’agite
Sans lui faire songer à se chercher un gîte.

Souvent l’homme a serré la bête d’assez près
Pour la tirer parmi des branchages épais
Dont l’enchevêtrement embarrassait sa fuite,
Que l’épouvante aveugle en tous sens précipite ;
Mais un rien, un faux pas, un glaçon, le grésil,
L’a toujours empêché d’épauler son fusil.

Le grand cerf fuit aussi rapide que la trombe,
Aveuglé par la course et la neige qui tombe,
Hors d’haleine, au hasard, comme privé d’instinct,
Mais pour l’âpre chasseur toujours aussi lointain.
L’animal, fou de peur, l’homme, fou de courage,
Volent, comme portés par le vent qui fait rage,
Aux ramures parfois se déchirant la chair
Et laissant derrière eux un brouillard chaud dans l’air.

Et celui qui peut voir cette course affolée
À travers la savane aride et désolée,
Dans l’ombre, dans la neige et le vent aboyant,
Croit parfois assister au passage effrayant
De deux fantômes nés du vertige et du songe.

Aussi loin que notre œil dans les ténèbres plonge,
On aperçoit toujours les deux tourbillons blancs
Que soulèvent les pas des deux coureurs sanglants.

Dans ce tournoi sans nom, impossible à décrire,
Depuis quelques instants devenu du délire,
Lequel des deux coureurs doit céder le premier,
De l’agile fuyard ou du souple limier ?
Sur le mont balayé par la tempête immense,
L’élan met entre l’homme et lui plus de distance.
Mais au milieu du val, que la neige a comblé,
Il est presque rejoint par le chasseur ailé,
Car où le pied se perd, la raquette surnage,
Et c’est pourquoi, fiévreux, haletants, tout en nage,
Dans ce chassé-croisé farouche et ténébreux,
Ils sont restés avec le même espace entre eux.

Tragique entêtement ! fuite vertigineuse !
Ni l’arbre renversé, ni la branche épineuse,
Ni les ravins profonds, ni les escarpements,
N’arrêtent le chasseur et le grand cerf fumants.

Ils vont, et devant eux la solitude tremble.
Ils vont, ils vont, ils vont, et l’élan parfois semble
Se fondre avec la nuit qui voile la forêt.
Ils vont, et le chasseur impétueux voudrait
Avoir l’essor du vent pour atteindre le fauve ;
Et l’ouragan sans fin fouette la forêt chauve.
Ils vont, ils vont toujours, au hasard serpentant
Dans les sombres halliers du grand bois palpitant.
 
Soudain, comme le vent a paru faire trêve,
La détonation d’une arme à feu s’élève
Du désert ténébreux sur qui planait la mort,
Puis le bruit d’un géant qui s’affaisse et se tord
Tressaille vaguement à travers la tempête.

L’homme, à demi mort, vient d’abattre enfin la bête.

Et, voyant expirer le survivant dernier
D’une harde tombée aux mains du braconnier,
A ses mornes échos la savane mouvante
Jette comme un long cri de rage et d’épouvante.

Collection: 
1904

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