L’Inquiétude des Momies

 
Plus haut que le vol des ibis
Et la pointe des granits roses,
Et les pyramides moroses,
Et le vieux temple d’Anubis,

Des âmes rêvent, endormies :
Les âmes d’hommes anciens
Qui furent les Égyptiens
Et ne sont plus que les momies.

— Elles rêvent, — et doucement,
Sur le sistre étoile des nues,
Modulent des chansons connues
Du peuple des morts seulement.

C’est une musique sans nom
Pareille à celle que l’argile
— Dès qu’aux cieux montait l’aube agile,
— Chantait aux lèvres de Memnon :

« Quand les jours seront révolus,
Revêtirons-nous la jeunesse ?
— Ils sont si lents qu’on ne sait plus
S’il est assuré qu’on renaisse.

« Vêtus comme des chrysalides
Et cachés au fond des tombeaux,
Sous leurs bandelettes solides
Nos corps restent fermes et beaux.

« Mais si le temps vient de l’oubli,
Pourrons-nous bien les reconnaître ?
— Pour être mieux enseveli,
En est-on plus sûr de renaître ?

« Sans doute les portes sacrées,
Les cent portes d’or de Memphis
Depuis longtemps sont demeurées
Ouvertes sur nos derniers fils,

« Et des reptiles sont venus
Qui, sous leurs armures squameuses,
Ont fait glisser leurs ventres nus
Tout le long de ses tours fameuses ;

« Des crocodiles faméliques
Qui, sur la pierre las d’errer,
Auront englouti les reliques
Où nos souffles devaient rentrer !

« Faudra-t-il, pour reconquérir
Le terrestre habit de nos âmes,
A notre tour faisant mourir,
Fouiller des sépulcres infâmes ?

« Mieux vaut, loin du fleuve et des îles,
A travers les sables brûlés
Fuir et, pour suprêmes asiles,
Chercher des corps inviolés ;

« Et, dans les mêmes nœuds charnels
S’il nous faut, deux à deux, descendre,
Unir deux souffles fraternels
Pour échauffer la même cendre.

« Car des voluptés réveillées
Les saints pouvoirs se doubleront
Quand deux âmes appareillées
Dans un même corps s’aimeront.

« Pour nous le réveil peut venir :
Prêts aux divines fantaisies,
Au doux pays du souvenir
Nos sœurs par nous seront choisies,

« Pour qu’il se fasse vérité
Le rêve qu’on rêvait ensemble
De deux chairs qu’un baiser rassemble
Et confond pour l’éternité !

« Quand les temps seront révolus,
Revêtirons-nous la jeunesse ?
— Ils sont si lents qu’on ne sait plus
S’il est assuré qu’on renaisse. »

Collection: 
1857

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