L’Ange et la Mère

 
Belle mère, je vous supplie que cessez dores
ayant de ainsy plorer sur moy.
(Tiré de la Motion de Sapience de Jehan-le-Saulnier).

I

Une mère pleurait sans cesse ;
Elle avait perdu son enfant !...
Oh ! bien grande était sa tristesse
Elle pleurait, pleurait sans cesse
Son cher ange qu'elle aimait tant.

O mon Dieu, s'écriait la mère,
Si jeune le mettre au tombeau
J'en étais peut-être trop fière...
Mais, mon Dieu, s'écriait la mère,
Pourquoi l'aviez-vous fait si beau ?

Qu'il était riant son visage
Et son parler, qu'il était doux !
Il promettait d'être si sage !...
Qu'il était riant son visage,
Quand il jouait sur mes genoux !

N'aviez-vous donc pas assez d'anges,
Seigneur, sans me prendre mon fils ?
Pour chanter au ciel vos louanges,
N'aviez-vous donc pas assez d'anges,
Assez d'anges du Paradis ?

Et de larmes, à ces pensées,
Ses yeux s'inondaient tous les jours,
Et, lorsqu'elles étaient versées,
D'autres larmes, à ces pensées,
Coulaient encor, coulaient toujours...

II

Une nuit que, sans fin ni trêve,
S'exhalait ainsi son tourment,
Dieu l'endormit,... et, d'un saint rêve,
Sur ses douleurs sans fin ni trêve,
Versa le doux apaisement.

Les cieux et toutes leurs merveilles
A ses yeux ravis étoilaient ;
C'étaient des choses sans pareilles,
Et, de merveilles en merveilles,
Des milliers d'anges qui volaient.

Ils passaient en chœur devant elle,
De joie et d'amour tout vermeils ;
Ils chantaient, agitaient leur aile ;
Ils passaient en chœur devant elle,
Radieux comme des soleils.

Bien loin derrière eux, un autre ange
Se traînait, triste et languissant ;
Pour suivre la sainte phalange,
Bien loin derrière eux, un autre ange
Faisait un effort impuissant.

C'était son fils !... La bonne mère
Le reconnaît, veut l'appeler...
Mais, hélas t ô douleur amère !
Vers le sein de la bonne mère
Le pauvre enfant ne peut voler !

O mon ange, que j'ai de peine,
Dit la mère, à te voir ainsi :
Ton aile se replie et traîne !
O mon ange, que j'ai de peine,
Que j'ai de peine et de souci !

— Si mes ailes sont repliées,
Mère, c'est que vous pleurez tant
Qu'elles en sont toutes mouillées,
Mes pauvres ailes repliées ;
Et le bon Dieu n'est pas content...

Songez-y bien : toutes vos larmes,
Je les sens couler de mes yeux !
Je m'afflige de vos alarmes ;
Ah ! songez, en versant vos larmes,
Que notre Père est dans les cieux !

Courage donc, petite mère,
Le mal va se changer en bien :
En me prenant, Dieu donne un frère
— Il me l'a dit, petite mère ! —
Un frère à votre ange gardien !

Alors, ma mère, à chaque aurore,
Sur votre haleine suspendu,
Je viendrai vous sourire encore,
Et vous croirez, à chaque aurore,
Que votre enfant vous est rendu !

Collection: 
1818

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