UN jeune enfant, à la vesprée,
S’en allait jouant dans le val ;
Sur la pelouse diaprée
Un guerrier survient à cheval.
— Où vas-tu si tard dans la plaine,
Tout seul ainsi, petit enfant ?
Viens au bois pour reprendre baleine,
— Non ; ma mère me le défend.
— Tu n’en diras rien. — Oh ! ma mère
Sait ce que je fais sans le voir.
— Quel est son métier ? — Lavandière ;
Entendez d’ici son lavoir.
— Mais ne crains-tu pas, mon bel ange,
Le loup qui rôde par les champs ?
— Beau cavalier, le loup ne mange
Que les petits qui sont méchants.
— Cependant, si tu veux m’en croire,
Il ne faut pas trop s’y fier :
On dit que quand la nuit est noire....
— Que dit-on, seigneur cavalier ?
— Qu’il est plus sûr d’aller ensemble,
Avec moi né crains aucun mal ;
Tu dois être las, il me semble :
Veux-tu monter sur mon cheval ?
— J’en ai peur : il a l’œil si rouge !
Il est noir, noir comme la nuit !
Et puis, voyez ! toujours il bouge,
Et ses pieds ne font aucun bruit !
— C’est que, sur le sol qu’il effleure,
Il a peine à se contenir :
Il peut aller, en moins d’une heure,
Au bout du monde et revenir.
— Alors, oh ! que de belles choses
On pourrait voir en un moment !
— Plus qu’au printemps il n’est de roses
Et d’étoiles au firmament !
Ce sont les fleura les plus étranges,
Et des fruits d’un goût sans pareil ;
Des orangers tout pleins d’oranges,
Dans des champs tout pleins de soleil.
On voit tout ce qui peut surprendre ;
Des hommes de toutes couleurs ;
Des oiseaux qui se laissent prendre
Avec la main comme des fleurs.
Ici, dans des forêts sauvages,
Paissent des troupeaux d’éléphants ;
Là, les perles, sur les rivages,
Servent de jouet aux ; enfants,
On voit les monts, on voit les plaines
Où l’or se trouve par monceaux ;
La mer, ou nagent des haleines
Aussi grandes que des vaisseaux 1
Eh bien ! ce merveilleux spectacle,
L’univers ! va s’offrir à toi,
En un moment et par miracle,
Si tu veux venir avec moi.
Et l’enfant, que le charme enivre,
Près du cavalier vient s’asseoir :
— Vous dites, si je veux vous suivre,
Que je peux revenir ce soir ?
— Oui, ce soir même, enfant ; mais songe
Qu’il est déjà tard ; tu m’entends.
Partons : vois l’ombre qui s’allonge !
Bientôt il ne serait plus temps.
Et son œil, plein d’inquiétude,
Suit du val le sentier battu ;
Bien ne trouble la solitude,
Mais l’écho du lavoir s’est tu !
L’enfant alors : — Pour que je monte,
Approchez-vous de l’escalier
Que cette croix ici surmonte.
La voyez-vous, beau cavalier ?
Le cheval recule et se cabre...
— Comme il a frémi tout à coup
Votre cheval ! tirez le sabre,
Peut-être qu’il a vu le loup !
— Il l’a vu, sans doute ; et je tremble,
Que deviendrais-tu là, tout seul ?
Viens, cher enfant ; allons ensemble
Derrière cet épais tilleul.
Et l’enfant, tendant sa main blanche,
Suit le cheval, cède à l’attrait...
Le cavalier vers lui se penche,
Le jette en croupe et disparaît.
Un long cri traversa la plaine !...
La mère accourt ; soins superflus :
Pour l’aller voir à la fontaine,
Son pauvre enfant ne revint plus.