Magellan, fils du Tage, et Drake et Bougainville
Et l'Anglais dont Neptune aux plus lointains climats
Reconnaissait la voile et respectait les pas.
Le Cancer sous les feux de son brûlant tropique
L'attire entre l'Asie et la vaste Amérique,
En des ports où jadis il entra le premier.
Là l'insulaire ardent, jadis hospitalier,
L'environne : il périt. Sa grande âme indignée,
Sur les flots, son domaine, à jamais promenée,
D'ouragans ténébreux bat le sinistre bord
Où son nom, ses vertus, n'ont point fléchi la mort.
J'accuserai les vents et cette mer jalouse
Qui retient, qui peut-être a ravi La Peyrouse.
Il partit. L'amitié, les sciences, l'amour
Et la gloire française imploraient son retour.
Six ans sont écoulés sans que la renommée
De son trépas au moins soit encore informée.
Malheureux! un rocher inconnu sous les eaux
A-t-il, brisant les flancs de tes hardis vaisseaux,
Dispersé ta dépouille au sein du gouffre immense ?
Ou, le nombre et la fraude opprimant ta vaillance,
Nu, captif, désarmé, du sauvage inhumain
As-tu vu s'apprêter l'exécrable festin ?
Ou plutôt dans une île, assis sur le rivage,
Attends-tu ton ami voguant de plage en plage;
Ton ami qui partout, jusqu'aux bornes des mers
Où d'éternelles nuits et d'éternels hivers
Font plier notre globe entre deux monts de glace,
Aux flots de l'Océan court demander ta trace ?
Malheureux ! tes amis, souvent dans leurs banquets,
Disent en soupirant : « Reviendra-t-il jamais ? »
Ta femme à son espoir, à ses voeux enchaînée,
Doutant de son veuvage ou de son hyménée,
N'entend, ne voit que toi dans ses chastes douleurs,
Se reproche un sourire, et, tout entière aux pleurs,
Cherche en son lit désert, peuplé de ton image,
Un pénible sommeil que trouble ton naufrage.
Pour moi, je les crois fils de ces dieux malfaisants
Pour qui nos maux, nos pleurs, sont le plus doux encens,
Loin d'être dieux eux-même ils sont tels que nous sommes,
Vieux, malades, mortels. Mais, s'ils étaient des hommes,
Quel germe dans leur coeur peut avoir enfanté
Un tel excès de rage et de férocité ?
Chez eux peut-être aussi qu'une avare nature
N'a point voulu nourrir cette race parjure.
Le cacao sans doute et ses glands onctueux
Dédaignent d'habiter leurs bois infructueux.
Leur soleil ne sait point sur leurs arbres profanes
Mûrir le doux coco, les mielleuses bananes.
Leurs champs du beau maïs ignorent la moisson,
La mangue leur refuse une douce boisson.
D'herbages venimeux leurs terres sont couvertes.
Noires d'affreux poissons, leurs rivières désertes
N'offrent à leurs filets nulle proie ; et leurs traits
Ne trouvent point d'oiseau dans leurs sombres forêts.
« Salut, ô belle nuit, étincelante et sombre,
Consacrée au repos. Ô silence de l’ombre,
Qui n’entends que la voix de mes vers, et les cris
De la rive aréneuse où se brise Téthys.
Muse, muse nocturne, apporte-moi ma lyre.
Comme un fier météore, en ton brûlant délire,
Lance-toi dans l’espace; et, pour franchir les airs,
Prends les ailes des vents, les ailes des éclairs,
Les bonds de la comète aux longs cheveux de flamme.
Mes vers impatients, élancés de mon âme,
Veulent parler aux dieux, et volent où reluit
L’enthousiasme errant, fils de la belle nuit.
Accours, grande nature, ô mère du génie;
Accours, reine du monde, éternelle Uranie.
Soit que tes pas divins sur l’astre du Lion
Ou sur les triples feux du superbe Orion
Marchent, ou soit qu’au loin, fugitive, emportée,
Tu suives les détours de la voie argentée,
Soleils amoncelés dans le céleste azur,
Où le peuple a cru voir les traces d’un lait pur,
Descends; non, porte-moi sur ta route brûlante,
Que je m’élève au ciel comme une flamme ardente.
Déjà ce corps pesant se détache de moi.
Adieu, tombeau de chair, je ne suis plus à toi.
Terre, fuis sous mes pas. L’éther où le ciel nage
M’aspire. Je parcours l’océan sans rivage.
Plus de nuit. Je n’ai plus d’un globe opaque et dur
Entre le jour et moi l’impénétrable mur.
Plus de nuit, et mon oeil et se perd et se mêle
Dans les torrents profonds de lumière éternelle.
Me voici sur les feux que le langage humain
Nomme Cassiopée et l’Ourse et le Dauphin.
Maintenant la Couronne autour de moi s’embrase.
Ici l’Aigle et le Cygne et la Lyre et Pégase.
Et voici que plus loin le Serpent tortueux
Noue autour de mes pas ses anneaux lumineux.
Féconde immensité, les esprits magnanimes
Aiment à se plonger dans tes vivants abîmes,
Abîmes de clartés, où, libre de ses fers,
L’homme siège au conseil qui créa l’univers;
Où l’âme, remontant à sa grande origine,
Sent qu’elle est une part de l’essence divine... »
Le poète divin, tout esprit, tout pensée,
Ne sent point dans un corps son âme embarrassée;
Il va percer le ciel aux murailles d’azur ;
De la terre, des mers, le labyrinthe obscur.
Ses vers ont revêtu, prompts et légers Protées,
Les formes tour à tour à ses yeux présentées.
Les torrents, dans ses vers, du droit sommet des monts
Tonnent précipités en des gouffres profonds.
Là, des flancs sulfureux d’une ardente montagne,
Ses vers cherchent les cieux et brûlent les campagnes ;
Et là, dans la mêlée aux reflux meurtriers,
Leur clameur sanguinaire échauffe les guerriers,
Puis, d’une aile glacée assemblant les nuages,
Ils volent, troublent l’onde et soufflent les naufrages,
Et répètent au loin et les longs sifflements,
Et la tempête sombre aux noirs mugissements,
Et le feu des éclairs et les cris du tonnerre.
Puis, d’un oeil doux et pur souriant à la terre,
Ils la couvrent de fleurs ; ils rassérènent l’air.