L’Érable

 
L’érable si haut dans l’espace
Dresse son faîte audacieux,
Que le bouvreuil, même à voix basse,
Y parle avec l’oiseau des cieux.

Il est plein de sève et de force.
L’ouragan ne peut le ployer ;
Pourtant les fibres de son torse
Sont aussi souples que l’acier.

Il est rugueux comme le chêne,
Et plus droit que le peuplier.
Une balle l’entame à peine :
Son écorce est un bouclier.

Il peut protéger de son ombre
Le troupeau le plus populeux.
En été des oiseaux sans nombre
Chantent sur son front onduleux.

Son feuillage, à la mi-septembre,
Au souffle du vent boréal,
Se couvrant d’or, de pourpre et d’ambre,
Brille comme un manteau royal.
 
En avril, le paysan perce
Son flanc qu’amollit le dégel :
Par sa blessure l’arbre verse,
Tout le mois, des larmes de miel.

Ces larmes sont une richesse,
Elles font faire bien des pas,
Mais la ferme est dans la détresse
Si l’érable ne pleure pas.

Parce qu’il est fécond, on l’aime,
Et les aïeux, dans leur fierté,
Ont pris sa feuille pour l’emblème
De leur nationalité.

Le jour de la Saint-Jean-Baptiste,
Quand juin, venu pour éblouir,
Rayonne comme une améthyste,
De joie il se sent tressaillir.

Il est content, l’arbre civique,
Car c’est aussi sa fête à lui.
Pour qu’elle soit plus magnifique,
Le beau soleil d’or plus tard luit.

Ce jour-là le géant superbe
Est honoré comme pas un ;
Sur ses pieds les cent fleurs de l’herbe
Répandent leur plus doux parfum.
 
Les oiseaux s’en viennent en foule
Saluer ses beaux rameaux verts,
Et dans l’ombre qu’il leur déroule
Jusqu’au soir lui disent des vers.

La jeune fille, folle ou sage,
Pour suivre alors notre drapeau,
Fixe sa feuille à son corsage
Ou bien l’épingle à son chapeau.

Les hommes à leur boutonnière
La portent orgueilleusement ;
Sous cette étoile printanière
Leurs cœurs battent plus librement.

Partout, sur les toits, dans la rue,
Brillent ses rameaux éclatants,
Et quand la fête est disparue,
Ils s’y bercent encor longtemps.

L’érable est l’arbre d’abondance.
L’Indien l’adorait autrefois ;
Et nous l’aimons comme la France
Aime le vieux chêne gaulois.

Sa verdeur est incomparable.
Nul miel n’est doux comme son miel.
Et puis de cet arbre admirable
On fait la bûche de Noël.
 
Il est bon autant que robuste.
Il berce au vent le nid mœlleux,
Et dépouille sa tête auguste
Pour couvrir le gazon frileux.

Il est beaucoup moins égoïste
Que le pin au front toujours vert,
Et son cœur d’arbre est sombre et triste
Devant les souffrances d’hiver.

Après avoir nargué les trombes,
Il se laisse mettre en morceaux,
Afin qu’on en fasse des tombes
Ou qu’on en fasse des berceaux.

Pour nous faire vivre, il s’immole ;
Lui qui touchait le ciel du front,
En mille et mille éclats il vole
Sous la hache du bûcheron.

Or le bûcheron vend l’érable,
Et le vieux mort est satisfait
Si la mansarde misérable
A le feu pétillant qu’il fait.

Sa flamme ardente est son obole…
Et nos pères bien justement
Le choisirent comme symbole
De la force et du dévoûment !

Collection: 
1904

More from Poet

  • Notre langue naquit aux lèvres des Gaulois.
    Ses mots sont caressants, ses règles sont sévères,
    Et, faite pour chanter les gloires d'autrefois,
    Elle a puisé son souffle aux refrains des trouvères.

    Elle a le charme exquis du timbre des Latins,
    Le séduisant brio du...

  • La nuit d'hiver étend son aile diaphane
    Sur l'immobilité morne de la savane
    Qui regarde monter, dans le recueillement,
    La lune, à l'horizon, comme un saint-sacrement.
    L'azur du ciel est vif, et chaque étoile blonde
    Brille à travers les fûts de la forêt profonde....

  • Derrière deux grands boeufs ou deux lourds percherons,
    L'homme marche courbé dans le pré solitaire,
    Ses poignets musculeux rivés aux mancherons
    De la charrue ouvrant le ventre de la terre.

    Au pied d'un coteau vert noyé dans les rayons,
    Les yeux toujours fixés sur...

  • C'est un après-midi du Nord.
    Le ciel est blanc et morne. Il neige ;
    Et l'arbre du chemin se tord
    Sous la rafale qui l'assiège.

    Depuis l'aurore, il neige à flots ;
    Tout s'efface sous la tourmente.
    A travers ses rauques sanglots
    Une cloche au loin se...

  •  
    À Mme C. P.

    La jeune mère, avec son fils, sur le gazon
    Du parc vient de humer la brise printanière.
    Le soleil moribond de sa lueur dernière
    Empourpre vaguement le bord de l’horizon.

    À peine le baiser du vent met un frisson
    Dans les...