Les jours de rage militaire,
Quand vibre et siffle et passe et se répand partout
L’obus précis, ardent, volant et fou,
Dites, les gens, les pauvres gens, entendez-vous
Souffrir, gémir, crier, et tout à coup
Se déchirer, jusqu’à son cœur, la terre ?
Elle était votre amour, étant votre souci.
Même l’hiver, sous le ciel blême,
Vous l’aimiez tous plus que vous-mêmes,
Et vos enfants l’aimaient et votre femme aussi ;
Et vous vous parliez d’elle avec des mots si tendres
Que ceux qui n’étaient pas gens du pays,
Depuis toujours de père en fils,
Hélas ! ne vous pouvaient comprendre.
Vos champs vous paraissaient être des hommes sûrs
Qui ne gaspillent pas le grain qu’on leur confie,
Mais font en sorte, aux mois d’été, qu’il fructifie
Et devienne épi clair et moisson sous l’azur.
Vous saviez en quel coin de sol luisant ou terne,
On sème avec profit la rave ou la luzerne,
Et comme il faut qu’on soit patiemment malin
Pour tirer d’un sablon quelques quintaux de lin.
Vos yeux subtils, vos bras musclés, vos mains austères
Immensément se prolongeaient en votre terre,
Si bien qu’aux jours d’éclairs et de tonnerres fous,
Quand l’orage mordait, il semblait mordre en vous.
Dites, les gens, la terre est aujourd’hui blessée
De toute la mitraille en sa chair enfoncée.
Des crevasses d’obus bâillent en des sillons.
Le tilleul de la plaine est fendu tout du long
Et tend vers le haut ciel les moignons de ses branches.
Les toits ont chu des murs comme autant d’avalanches
Et leurs lattis broyés jonchent les carrefours.
Tel un torse troué se dresse encor la tour
Par-dessus le village et l’église en ruines.
Les étoiles, le soir, peuplent cette poitrine
De feux consolateurs que l’on voit au travers.
Tout est morne d’avoir si brusquement souffert :
L’oiseau, la bête et l’homme en leur crainte profonde,
À voir leur sol broyé, croient à la fin du monde.
Pourtant,
Cette terre aujourd’hui lamentable et blessée,
De toute la mitraille en sa chair enfoncée,
Renferme également,
En ses bois désolés et ses plaines cruelles,
Le corps des héros morts qui tous sont morts pour elle.
Dites, les gens
Dont l’âme paysanne entend vivre la terre,
Ce qu’il vous faut sentir en ces heures de guerre,
Uniquement,
C’est l’orgueil et la force et le frémissement
De cette cendre, sous la terre.
Orges, seigles, froments, s’ils sont brûlés, vos grains,
Il n’importe — voici la nouvelle semence.
Elle lève du sol en volontés d’airain ;
Et doit répandre en vous la divine démence
Qui veut qu’on soit terrible et tout à coup vainqueur.
Vous vous tairez devant la gloire,
Plaintes et cris, sanglots et pleurs,
Pour que s’exalte seul et gronde dans les cœurs
Le cri myriadaire et fou de la victoire.