Il était une fois trois rois
Qui firent serment, par saint Georges,
De faire mourir Jean Grain-d’Orge.
Un jour donc, les voilà tous trois,
Ayant surpris le pauvre hère,
Qui l’abattirent tout d’abord,
Et jurèrent qu’il était mort,
Après l’avoir couvert de terre.
Mais quand vint le Printemps joli,
On le vit relever la tête,
Et faire une belle risette,
Lui, qu’ils croyaient enseveli.
Et l’Été de sa chaude haleine,
Le fit encore plus rétu,
De dards acérés revêtu,
Et se tenant droit sur la plaine.
Las ! l’Automne vint à son tour.
Et sous le vent qui le soufflette,
Jean Grain-d’Orge, courbant la tête,
Semblait défaillir chaque jour.
Peu à peu, sous le faix de l’âge.
Il perdit sa belle couleur,
Tandis que ces rois de malheur
S’acharnaient sur lui davantage.
Ils le rompirent au genou,
Le mirent sur une charrette,
Comme un assassin qu’on arrête,
Les bras liés, la corde au cou.
Plus tard de coups ils l’accablèrent,
Et le firent tourner au vent ;
Et comme il demeurait vivant
Nos trois fripouilles le jetèrent
Dans une fosse pleine d’eau.
(Qu’il y enfonce ou qu’il surnage)
Vous croyez qu’il y fit naufrage ?…
Jamais de la vie. À nouveau,
Ses ennemis s’ingénièrent,
L’étendirent sur un plancher,
Et — l’on eût dit pour le sécher
En tous les sens le secouèrent.
Malgré tous ces divers assauts,
Comme il n’avait pas rendu l’âme,
Ils firent alors sur la flamme
Fondre la moelle de ses os.
Et, digne de nos trois compères,
Mais plus lâche encore, un meunier,
En fait de supplice dernier,
Broya sa tête entre deux pierres.
Et puis, ils poussèrent en chœur,
Tous les quatre, un cri de victoire,
Et burent, à leur grande gloire,
Le sang généreux de son cœur !
Et voilà, qu’au fur à mesure,
Ils buvaient le sang de son cœur,
Que la joie, ainsi qu’une fleur,
Épanouissait leur figure.