Invocation

 
Ombres de mes sept Sœurs et de mes sept Pensées !
Toi, par la flèche, et toi, par la pierre lancée
Au travers de la haie et par-dessus le mur ;
Toi, par la fleur tendue, et toi, par le fruit mûr
Offerts l’un à ma bouche et l’autre à mon sourire ;
Toi que la nuit endort, toi que l’aurore étire,
Toi qui ruisselles d’eau, toi qui coules de sang,
Vous toutes qui parlez, passantes, au passant,
Assises dans le soir ou debout dans l’aurore,
Le long du fleuve calme ou de la mer sonore,
Le pied sur l’herbe haute ou sur le rocher nu,

Sur la lande déserte où danse un bouc cornu
Ou dans le verger clair où chante une colombe
Tandis que l’heure, hélas ! marque d’un fruit qui tombe
Son invisible fuite et son muet retour ;
Vous qui êtes la Mort, vous qui êtes l’Amour
O flamboyantes, ô légères, ô glacées,
En vous voyant marcher dans mon âme, Pensées
Qui descendez en moi les pentes de l’oubli,
Pour que vous les miriez en son lac d’or pâli
J’ai fait à vos sept fronts à jamais sept couronnes
Avec des fleurs d’été, avec des fleurs d’automne,
Avec l’algue du fleuve et l’algue de la mer
Et des feuillages durs immortellement verts
Et des feuilles de lierre et des feuilles d’orties,
Avec des cailloux noirs et des gemmes polies ;
Et, pour qu’en ma mémoire il se revive encor,
J’ai couronné en vous mon Rêve sept fois mort.

Collection: 
1884

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