Ce bonhomme ne défumait
De toute la sainte journée ;
Vous eussiez dit son calumet
Une petite cheminée.
Or, voilà qu’un jour l’aborda
Un des membres de cette ligue,
Qui, contre l’abus du tabac
Inutilement se fatigue :
« Eh bien ! monsieur, — dit celui-ci
Le nouvel impôt que voici
Doit vous embêter, et pour cause.
N’est-ce pas l’impôt qui s’impose !
Vous allez un peu moins fumer,
De ce coup ? — Quel enfantillage !
Parbleu, je puis vous affirmer
Que je fumerai davantage.
Je suis patriote, avant tout.
L’État cherche de l’or partout,
Je trouve donc fort légitime
Que de quelque nouveau centime
Il me majore son tabac ;
D’autant que, pour être sincère,
Il est tout aussi nécessaire
Que le pain, à mon estomac.
— Mais enfin — dit l’autre — que diable !
Le tabac… il n’est pas niable,
Que si vous en faites abus,
Vos facultés n’agissent plus.
Lentement il vous intoxique
Tant le moral que le physique.
Vous vous détruisez à ce jeu,
Et sur vous la mort anticipe…
— C’est ça qui m’inquiète peu, —
Dit mon fumeur, bourrant sa pipe —
Je fume depuis très longtemps,
Et je vais sur mes septante ans.
— Soit ! mais puisque aussi bien on cause,
Laissez-moi vous dire autre chose :
Si vous aviez mis de côté
Tout l’argent que vous a coûté
Ce tabac affreux, délétère,
Peut-être — songez à cela —
Que vous seriez propriétaire
De cette maison que voilà ?…
— Ma foi, monsieur le bon apôtre,
Vous êtes merveilleux ! mais quoi !…
Cette maison est-elle vôtre ?…
— Non. — Je crois bien, elle est à moi ! »