François Ier

 
Dans un rêve, François, le roi chevaleresque,
En ces jours caressait un dessein gigantesque.

Après avoir vogué pendant plusieurs longs mois,
Bravé mille périls et la mort mille fois,
Colomb avait trouvé ces régions lointaines
Où les rois se taillaient de superbes domaines.
Or, justement jaloux de voir les autres rois
Se hâter de ranger ces pays sous leurs lois,
François dit en son cœur :
« Quoi ! je verrai des Princes
Entre eux se partager empires et provinces,
Sans s’occuper de moi, sans me garder ma part ?
Pensent-ils que, craintif, je me tiens à l’écart ?
Mon drapeau flottera sur de lointaines ondes
Et la foi par mes soins éclairera les mondes. »

Un jour qu’il était seul au fond de son palais,
Loin du bruit de la rue et de l’œil des valets,
Il tomba tout à coup dans un sommeil étrange.
Il eut alors un songe. Il vit venir un ange.
Comme un globe de feu qui glisse dans les airs,
Cet ange voyageur rayonnait sur les mers,
Et les ondes sous lui courbaient leur cime fière.
Il restait sur ses pas un sillon de lumière,
Comme un lien de paix, un symbole d’amour
Qui devaient à la France attacher, de ce jour,
Ces peuples que servait un messager céleste.
L’Ange approchait rapide, et, d’un sublime geste,
Montrait au fond des mers un rivage lointain.

― « Vois-tu, s’écriait-il, ô vaillant souverain !
Vois-tu cet autre monde enseveli dans l’ombre ?

Quand l’Europe à son tour, comme un vaisseau qui sombre,
Aura vu s’entr’ouvrir, dans la suite des temps,
Le gouffre de l’oubli sous ses pas hésitants,
Ce monde, jeune encor, plein de sève et de vie,
Verra toute la terre à ses lois asservie.
Alors il fleurira comme les rejetons
Dont les tendres rameaux se couvrent de boutons,
Pendant que tout près d’eux un vieil arbre se fane.
Jusqu’ici cependant c’est dans un but profane
Que les grands de l’Europe ont envahi ces bords.
Leur immense avarice a cherché des trésors.
Mais toi, va du Seigneur publier la clémence ;
Va porter en ces lieux la divine semence. »

Ainsi parlait cet ange, et le son de sa voix
Vibrait comme le cor qui sonne sous les bois.
Il s’approcha du prince, et sa lèvre vermeille
Lui murmura tout bas d’autres mots à l’oreille.
François, de son sommeil aussitôt s’éveillant,
Vit se fondre dans l’air un fantôme brillant.

Le soleil n’avait pas, de ses rayons d’opale,
Éclairé bien souvent la grande capitale,
Lorsque, devant le trône, un illustre marin
Vint tenir ce langage au jeune souverain :

― « De ses feux bienfaisants l’astre du jour inonde,
Sans jamais se lasser, tous les peuples du monde ;
Il parc l’orient des plus vives couleurs,
L’occident se réchauffe à ses douces ardeurs.
Ainsi de notre foi la céleste lumière
Devrait illuminer la terre tout entière.
Et j’ose croire, ô roi ! que le désir de Dieu
Est qu’elle soit bientôt répandue en tout lieu.

« Elle est, comme le jour, de l’orient sortie ;
Sa course à l’occident ne s’est pas ralentie.
Mais cependant il est, au-delà de ces mers,
Des peuples que Satan tient encor dans ses fers,
Des lieux que l’ignorance étreint dans ses ténèbres,
Comme au milieu des nuits, dans ses serres funèbres,
Le hibou taciturne étreint un jeune oiseau.
Prince, ne faut-il pas qu’enfin de son flambeau
La foi daigne éclairer ces malheureux rivages ?
Dieu ne refuse pas aux nations sauvages
Qui vivent, comme l’ours, au milieu de leurs bois,
Le rayon du soleil qui brille sur nos toits.
Ne veut-il pas aussi, ce Dieu, dans sa clémence,
Que la lumière arrive à leur intelligence,
Et que leur cœur, rempli de respect et d’amour,
Sache adorer enfin et prier, chaque jour ?

« Sous l’étoile du ciel, et sans motif cupide
J’ai sillonné déjà, sur ma barque rapide,
Jusques à l’occident, l’océan étonné.
Ce voyage hardi, vous l’aviez ordonné.
Le succès fut heureux, mais la gloire incomplète,
Car nulle terre alors ne fut notre conquête,
Et la France à ces lieux, vous le savez, ô roi !
N’a pu donner encor ni son nom, ni sa foi.
Mais daignez à mes soins confier un navire,
J’irai, s’il plaît à Dieu, fonder un vaste empire
Où le nom de la France et le nom du Seigneur
Seront ensemble unis au fond de chaque cœur. »

Quel était ce marin dont la voix inspirée
Retentissait ainsi sous la voûte dorée
De l’antique château des souverains français ?
Ô Cartier, c’était toi ! Fier d’un premier succès,
Tu te laissais bercer de la douce espérance
D’être agréable au ciel comme utile à la France.
Le roi surpris, ému, t’embrassa tendrement,
Et d’accomplir tes vœux fit alors le serment.

Collection: 
1857

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