Feuilles d’automne

 
J’aime entendre le vent qui sanglote dans l’ombre
Durant les soirs brumeux de l’automne pâli,
Lorsqu’il erre plaintif dans la campagne sombre
Où le joyeux été repose enseveli.

Fuyant de ses baisers les mortelles atteintes,
Toutes les feuilles d’or quittent, d’un vol pressé,
L’arbre qu’elles ornaient de leurs changeantes teintes
Et qui demeure seul en face du passé.

Elles s’en vont par bande à travers la bruine,
Parfois rasant la plaine ou montant jusqu’aux cieux,
Troupe folle d’oiseaux que l’inconnu fascine,
Et que guide au hasard son vol capricieux.

Mais quelqu’une parfois, déchirée et lassée,
Ne pouvant soutenir sa course plus longtemps,
Se laisse retomber sur la terre glacée
Qui lui semblait si belle et si verte au printemps.

Puis c’est une seconde, aussi pâle et flétrie,
Qui vient toucher le sol en un long tournoîment,
Comme un ramier, trahi par son aile meurtrie,
Sur le chemin désert s’abat languissamment.

Bientôt, s’amoncelant, elles couvrent la plaine ;
Sur leurs restes l’hiver jette son blanc manteau,
Et, du souffle glacé de sa puissante haleine,
Il leur fait un immense et tranquille tombeau…

Hélas ! et c’est ainsi que durant notre vie
S’effeuille l’arbre vert de nos illusions :
Une première feuille est d’une autre suivie,
Puis leur nombre s’accroît et devient légions ;

Et lorsque de nos ans arrivera l’automne,
Comme les feuilles d’or, de même dormiront
Tous nos rêves d’hier sous la blanche couronne
Dont l’âge aux doigts de glace aura ceint notre front.

26 octobre 1880.

Collection: 
1886

More from Poet

  • (extrait)

    ... Et sais-tu que toi-même aussi, nocturne reine,
    Tu cesseras un jour de briller dans les cieux ?
    Tu mourras comme doit mourir la race humaine,
    Et l'ombre habitera les airs silencieux.

    De toutes tes splendeurs, de tes beautés divines,
    De ce...

  • ... Et sais-tu que toi-même aussi, nocturne reine,
    Tu cesseras un jour de briller dans les cieux ?
    Tu mourras comme doit mourir la race humaine,
    Et l'ombre habitera les airs silencieux.

  •  
    Heureux le paysan à l’existence austère,
    Qui vit dans sa chaumière et cultive ses prés,
    Qui jette avec espoir la semence en la terre
    Et recueille la gerbe et les épis dorés.

    Il sait qu’il ne dépend ici-bas de personne :
    La pluie et le soleil lui sont donnés...

  •  
    L’autre jour, par hasard, en ouvrant la gazette,
    Mes regards sont tombés sur ces mots : « La Jeannette. »
    La Jeannette !… Et longtemps je suis resté songeur,
    L’œil perdu dans le vague et la tristesse au cœur.
    Mon esprit, emporté loin des lieux où...

  •  
    Mavali le puissant repose en son palais.
    C’est midi, le soleil jette de chauds reflets
    A travers les plis lourds des tentures bien closes.
    Une grande torpeur saisit hommes et choses.
    Dans la salle où le roi négligemment s’endort,
    Douze esclaves, liés avec...