En sortant d’un bal

À Julien Travers.

On n’a pu l’emmener qu’à la dernière danse.
C’était son premier bal, songez ! et la prudence
De sa mère a cédé jusqu’au bout au désir
De la voir, embellie encor par le plaisir,
Résister du regard au doigt qui lui fait signe,
Ou venir effleurer, d’un air qui se résigne,
L’oreille maternelle où sa claire voix d’or
Murmure ces deux mots suppliants : Pas encor.

C’est la première fois qu’elle entre dans ces fêtes.
Elle est en blanc ; elle a, dans les tresses défaites
De ses cheveux, un brin délicat de lilas ;
Elle accueille d’abord d’un sourire un peu las
Le danseur qui lui tend la main et qui l’invite,
Et rougit vaguement, et se lève bien vite,
Quand, parmi la clarté joyeuse des salons,
Ont préludé la flûte et les deux violons.
Et ce bal lui paraît étincelant, immense.
C’est le premier ! Avant que la valse commence,
Elle a peur tout à coup et regarde, en tremblant,
Au bras de son danseur s’appuyer son gant blanc.
La voilà donc parmi les grandes demoiselles,
Oiselet tout surpris de l’émoi de ses ailes.
Un jeune homme lui parle et marche à son côté.
Elle jette autour d’elle un regard enchanté
Et qui de toutes parts reflète des féeries,
Et devant les seins nus couverts de pierreries,
Les souples éventails aux joyeuses couleurs
Semblent des papillons palpitant sur des fleurs.

Pourtant elle est partie, à la fin. Mais mon rêve
Reste encor sous le charme et, la suivant, achève,
Cette première nuit du plaisir révélé.
Dans le calme du frais boudoir inviolé,

Assise, – car la danse est un peu fatigante, –
Elle ôte son collier de perles, se dégante
Et tressaille soudain de frissons ingénus
En voyant au miroir son col et ses bras nus.
Puis le petit bouquet qui meurt à son corsage
Dans son dernier parfum lui rappelle un passage
De la valse où ce blond cavalier l’entraînait.
Elle cherche un instant sur son mignon carnet
Un nom que nul encor n’a le droit de connaître.
Tandis qu’entre les deux rideaux de la fenêtre
L’aube surprend déjà la lampe qui pâlit.

Mais la fatigue enfin l’appelle vers son lit ;
Et, dans l’alcôve obscure où la vierge se couche,
Un doux ange gardien veille, un doigt sur la bouche.
Mon rêve, éloigne-toi ! Le respect nous bannit.
C’est violer un temple et c’est troubler un nid
Que de parler encor de ces choses divines,
Alors qu’il ne faut pas même que tu devines.

Collection: 
1892

More from Poet

  • O poète trop prompt à te laisser charmer,
    Si cette douce enfant devait t'être ravie,
    Et si ce coeur en qui tout le tien se confie
    Ne pouvait pas pour toi frémir et s'animer ?

    N'importe ! ses yeux seuls ont su faire germer
    Dans mon âme si lasse et de tout assouvie...

  • J'écris près de la lampe. Il fait bon. Rien ne bouge.
    Toute petite, en noir, dans le grand fauteuil rouge,
    Tranquille auprès du feu, ma vieille mère est là ;
    Elle songe sans doute au mal qui m'exila
    Loin d'elle, l'autre hiver, mais sans trop d'épouvante,
    Car je suis...

  • Champêtres et lointains quartiers, je vous préfère
    Sans doute par les nuits d'été, quand l'atmosphère
    S'emplit de l'odeur forte et tiède des jardins ;
    Mais j'aime aussi vos bals en plein vent d'où, soudains,
    S'échappent les éclats de rire à pleine bouche,
    Les polkas...

  • Songes-tu parfois, bien-aimée,
    Assise près du foyer clair,
    Lorsque sous la porte fermée
    Gémit la bise de l'hiver,

    Qu'après cette automne clémente,
    Les oiseaux, cher peuple étourdi,
    Trop tard, par un jour de tourmente,
    Ont pris leur vol vers le Midi ;...

  • Captif de l'hiver dans ma chambre
    Et las de tant d'espoirs menteurs,
    Je vois dans un ciel de novembre,
    Partir les derniers migrateurs.

    Ils souffrent bien sous cette pluie ;
    Mais, au pays ensoleillé,
    Je songe qu'un rayon essuie
    Et réchauffe l'oiseau...