I. Sur le Mode majeur
Je sens croître l’ennui des livres vieux et sages,
Donnez-moi, donnez-moi des mâts et de codages !
Je ris en jetant l’ancre ! Au hasard du vent fou,
Du flot capricieux, j’irai je ne sais où.
Mon corps est moins pesant et mon âme s’allège,
Car je ne reviendrai jamais… Où donc irai-je ?
Puisqu’on y voit des ciels et des aspects nouveaux,
Tous les pays que l’on ne connaît pas sont beaux.
Les paysages sont changeants comme les nues.
Qui dira le splendeur des terres inconnues ?
Je me souviens qu’au fond des soirs longs et songeurs
Je lisais les très beaux récits des voyageurs.
Ils avaient vu là-bas tant d’admirables choses !
Leurs morts s’illuminaient, rouges apothéoses.
Je les envie. Et je m’abandonne, comme eux,
Aux perfides courants des fleuves hasardeux.
Qu’on détache l’amarre et qu’on hisse les voiles
Dès que s’allumeront les premières étoiles !
Le ciel est doux, l’heure est favorable. A mon tour,
J’irai vers ces pays de terreur et d’amour.
Et je dis mes adieux aux choses familières,
Aux doux prés, aux maisons, à leurs bonnes lumières.
Je m’en vais sans pleurer, pour ne plus revenir.
Mais j’emporte avec moi le latent souvenir.
Dans le fond ténébreux et dormant de mon âme
S’élève, chaque nuit, un visage de femme.
II. Sur le Mode mineur
J’ai vu trop d’océans. J’ai trop vu de pays.
Le regard s’éteint presque en mes yeux éblouis.
Sachant que la bonté du sort m’est enfin due,
Je retournerai vers celle que j’ai perdue.
Toute autre forme n’est qu’un remous de la mer,
Et je ne me souviens de rien qui me fut cher.
Ces autres ont passé sur mon chemin, mais elle !
De mon âme elle a fait sa maison éternelle.
Nul bonheur de là-bas ne m’a fait oublier
Qu’entre ses frêles bras elle a su me lier.
***
Unique, elle demeure en mon âme éternelle.
C’est pourquoi, malgré moi, je retourne près d’elle.
Je la verrai toujours ainsi que je la vis,
Avec les mêmes yeux ignorants et ravis.
A travers les hasards des courants et de l’heure
Et des vents et des ciels, elle existe et demeure…