Douce tromperie

 

JE ne suis pas si fou, ma chère enfant, de croire
Aux rêves que je fais et qui, dans ma mémoire,
Comme sur un papier vieilli des mots tracés,
Ont paru clairement et sont presque effacés.
Aussi, sans nul regret comme sans amertume,
J’en ébauche souvent le croquis à la plume.
Nés du désir, ils sont passagers comme lui,
Et c’est parce qu’une heure en mon âme ils ont lui,
Parce que chaque jour je pourrai les reprendre,
Que de leur doux plaisir je ne puis me défendre

J’en jouis à l’instant bref où je les conçois,
Et ce moment me vaut des semaines, des mois
D’espoirs et de projets tous irréalisables, ―
Mais je n’y crois pas plus qu’aux fictions des fables.
Ainsi, ma chère amie, évoquant vos beaux yeux,
Quand mon rêve vous dit des mots ambitieux
Et dont la passion vous fait frissonner toute,
Je sais que je me leurre et que moi seul m’écoute…

Que vous importe, à vous qui n’en apprenez rien,
Si ce mensonge-là, chère, me fait du bien ?

Collection: 
1898

More from Poet

  • Dans le vent qui les tord les érables se plaignent,
    Et j'en sais un, là-bas, dont tous les rameaux saignent !

    Il est dans la montagne, auprès d'un chêne vieux,
    Sur le bord d'un chemin sombre et silencieux.

    L'écarlate s'épand et le rubis s'écoule
    De sa large ramure...

  •  

    DANS l’océan du ciel d’avril, gonflant leurs voiles,
    Les nuages, pareils à de légers bateaux,
    Naviguent, éclatants, vers des îles d’étoiles,
    Avec la majesté des cygnes sur les eaux.

    Ils voguent, sans troubler d’un remous l’onde bleue ;
    ...

  •  

    LES Visions du soir passent, comme des vierges
    En fins souliers d’azur, en robes de lin blanc,
    Et leurs doigts délicats sont étoilés de cierges
    Dont le feu pâle est sous l’haleine vacillant.

    Les Visions du soir, cortèges angéliques,
    Chantent, dans la...

  •  

    J’IMPROVISE ces vers mystérieux pour une
    Qui rayonne de grâce et de blanche beauté,
    Dont le regard semble un crépuscule d’été
    Qui se meurt lentement par un lever de lune.

    Je ne sais pas pourquoi je lui donne ces vers.
    Je vois dans ma pensée éclore son...

  •  

    AUX feux de mon esprit qui s’allume dans l’ombre,
    Je me regarde vivre avec étonnement :
    Une fierté triomphe en ma stature sombre,
    Et je suis comme un roi promis au firmament !

    J’ai des chants de victoire au cœur, je me célèbre !
    Comme autrefois David...