Oui, l’œuvre a trahi la promesse !
Leur torrent aux folles rumeurs
Ne vaut pas l’antique Permesse,
L’onde où buvaient nos vieux rimeurs.
« Cependant chacun d’eux s’admire.
En est-il un seul, en effet,
Qui dans son œuvre ne se mire,
Fringant, pimpant et satisfait ?
« Celui-ci, de rimes exquises
Façonnant ses versiculets,
Ciselle en l’honneur des marquises
Sonnets, rondeaux et triolets.
« Ceux-là, du goût bravant la règle,
Affichant des airs de pandour,
Aiglons dont Dorat serait l’aigle,
Changent la Muse en Pompadour.
« Berger de normande facture,
Plus épris d’or que de coteaux,
L’un essaye en littérature
Le genre poudré des Watteaux.
« Sous la matière étouffant l’âme,
Pour sa force aimant la laideur,
L’autre envie à l’hippopotame
Sa robuste et vaste lourdeur.
« Groupe à l’étrange fantaisie !
Stérile et grotesque travers !
Si c’est là de la poésie,
Boileau ! je retourne à tes vers ! »
Ainsi dit la foule en son blâme.
Mais toi, bien qu’hostile aux défauts,
Sache démêler dans la trame
Le bien du mal, le vrai du faux !
Dans cette arène poétique
Où près des fous luttent les forts,
Esprit ouvert, cœur sympathique,
Applaudis aux nobles efforts.
Tout louer d’eux serait peu sage,
Mais tout n’est point à rejeter :
Que d’or pur dans cet alliage
Pour qui saurait en profiter !
Pris du vin des vertes années,
Impatients des vieux drapeaux,
Du front des muses surannées
Leur main fit choir les oripeaux.
Raillant des classiques entraves
La sénile infécondité,
Ils ont à nos lyres esclaves
Rendu jeunesse et liberté.
Si dans leur fougue de réforme
Ils ont frappé vrais et faux dieux,
Ils ont au moins dompté la forme
Si rebelle et dure aux aïeux
C’est leur part dans l’œuvre commune,
Eh ! pourquoi la leur refuser ?
Leur rôle, à ces fils de fortune,
Fut moins de fonder que d’oser.
D’un art perdu cherchant la trace,
Ils ont plus détruit que semé ;
Mais leur amour fit leur audace :
Pardonnons-leur, ils ont aimé !
Des libertés à la licence,
Certes, plus d’un vint aboutir :
Plaignons cette aveugle puissance
Qui sait détruire et non bâtir.
Vaincus même ils restent utiles.
L’Art demandait à rajeunir :
Il est des défaites fertiles
Pour les moissons de l’avenir.
Jonchant l’arène littéraire,
Ils sont la pierre et le ciment
Dont quelque jour un heureux frère
Fera sortir son monument.
Hélas ! que de vaine fumée,
Que de tumulte et que de bruit,
Pour qu’une pure renommée
Se lève au sein de notre nuit !
Qu’il se lève, l’astre-poète
Que l’art pressent confusément !
D’une lumière enfin complète
Saluons tous l’avènement !
Mais avec la tourbe servile,
Nous, n’insultons point aux vaincus !
Admirons, adorons Virgile,
Mais parfois plaignons Ennius.