Dialogue rustique « Pierre »

 
PIERRE

À Saint Corneille, ami des bêtes
Qui broutent sur la digue et dans les flots changeants
Reflètent
Leur mufle humide et bleu dont les poils sont d’argent,
J’offre une couple
De pigeons souples.

 
PIERRE

À Saint Corneille, ami des bêtes
Qui broutent sur la digue et dans les flots changeants
Reflètent
Leur mufle humide et bleu dont les poils sont d’argent,
J’offre une couple
De pigeons souples.

 
JEAN

Et moi je donnerai à Saint Amand, patron
Des longs et lents troupeaux qui, dès l’aube, s’en vont
Tondre l’herbe brillante où mille insectes bougent,
Deux coqs luisants et rouges.

PIERRE

Et l’on vendra coqs et pigeons
Dans un panier tressé de joncs,
Un jour de bombance et de liesse
Devant l’église, après les messes.

JEAN

Mes coqs sont beaux comme des fleurs
Où le soleil met des lueurs :
Un glaïeul d’or se courbe en crête
Et se hérisse sur leur tête.

 
JEAN

Et moi je donnerai à Saint Amand, patron
Des longs et lents troupeaux qui, dès l’aube, s’en vont
Tondre l’herbe brillante où mille insectes bougent,
Deux coqs luisants et rouges.

PIERRE

Et l’on vendra coqs et pigeons
Dans un panier tressé de joncs,
Un jour de bombance et de liesse
Devant l’église, après les messes.

JEAN

Mes coqs sont beaux comme des fleurs
Où le soleil met des lueurs :
Un glaïeul d’or se courbe en crête
Et se hérisse sur leur tête.

 
PIERRE

Mes deux pigeons me font songer
À deux sabots de bois léger
Qu’on aurait peints de couleurs claires,
Et qui trottent au long du jour
Dans la cuisine et dans la cour,
Et sur le seuil plein de lumière.

JEAN

Mes coqs sont nés dans mon fournil,
Au creux du mur, sous la grande arche :
Ils étaient vifs, mais si petits
Qu’on aurait dit des œufs qui marchent.
Ils grandirent dans le soleil
D’un avril clair à juin pareil ;
Bientôt, sur leur patte menue,
Ils étiraient leur aile nue.

 
PIERRE

Mes deux pigeons me font songer
À deux sabots de bois léger
Qu’on aurait peints de couleurs claires,
Et qui trottent au long du jour
Dans la cuisine et dans la cour,
Et sur le seuil plein de lumière.

JEAN

Mes coqs sont nés dans mon fournil,
Au creux du mur, sous la grande arche :
Ils étaient vifs, mais si petits
Qu’on aurait dit des œufs qui marchent.
Ils grandirent dans le soleil
D’un avril clair à juin pareil ;
Bientôt, sur leur patte menue,
Ils étiraient leur aile nue.

Leur coup de bec précis et dur
Happait l’insecte au coin du mur,
Et dès qu’ils en eurent la taille,
Un beau matin, dans un fossé,
Face à face, le col dressé,
Ils livrèrent, entre eux, bataille.

PIERRE

Mes pigeons, doux et familiers,
Furent nourris au colombier
Avec du vrai maïs d’Espagne.
Si je sème, dans la campagne,
Toujours je reconnais leur vol
Rien qu’à son ombre, au ras du sol ;
Dès que l’autan quitte les terres
Ils repeuplent mon toit moussu
D’amours roucoulants et pansus,
Et dans le creux de ma gouttière,

Leur coup de bec précis et dur
Happait l’insecte au coin du mur,
Et dès qu’ils en eurent la taille,
Un beau matin, dans un fossé,
Face à face, le col dressé,
Ils livrèrent, entre eux, bataille.

PIERRE

Mes pigeons, doux et familiers,
Furent nourris au colombier
Avec du vrai maïs d’Espagne.
Si je sème, dans la campagne,
Toujours je reconnais leur vol
Rien qu’à son ombre, au ras du sol ;
Dès que l’autan quitte les terres
Ils repeuplent mon toit moussu
D’amours roucoulants et pansus,
Et dans le creux de ma gouttière,

Joignant leurs becs courts, mais vermeils,
Ils s’accouplent dans le soleil.

JEAN

J’ai séparé mes coqs par des cloisons de lattes,
Avant le jour qu’au bout des pattes
Leur eût poussé le courbe et féroce éperon.
Leur voix n’était encor qu’étoffe déchirée
Qu’ils s’entêtaient déjà à sonner du clairon
Devant l’aube effarée.
Ils paraissaient si fiers de faire un peu de bruit.
Leur orgueil exigeait la lutte et le conflit
Et les poules qui les fuyaient, prises de crainte,
Se résignaient quand même à subir leur ardeur
Chaque fois que leur bec violent et vainqueur
Les ployait sous sa brusque et sauvage contrainte.

Joignant leurs becs courts, mais vermeils,
Ils s’accouplent dans le soleil.

JEAN

J’ai séparé mes coqs par des cloisons de lattes,
Avant le jour qu’au bout des pattes
Leur eût poussé le courbe et féroce éperon.
Leur voix n’était encor qu’étoffe déchirée
Qu’ils s’entêtaient déjà à sonner du clairon
Devant l’aube effarée.
Ils paraissaient si fiers de faire un peu de bruit.
Leur orgueil exigeait la lutte et le conflit
Et les poules qui les fuyaient, prises de crainte,
Se résignaient quand même à subir leur ardeur
Chaque fois que leur bec violent et vainqueur
Les ployait sous sa brusque et sauvage contrainte.

 
PIERRE

Avec mes deux pigeons dont le volant essor
Se jouait dans le vent et frôlait les nuages
J’ai bien des fois tenté le sort.
Ils partaient quelque jour pour de lointains voyages
Portés de train en train, jusqu’à la mer là-bas.
Leur retour au pays était lutte et combat.
D’une aile ardente et enivrée,
Ensemble ils traversaient de terribles contrées
Où l’aigle immense et brusque autour des monts planai
Au cœur même du ciel le péril foisonnait,
Mais la vitesse de leur course
S’exaltait au point qu’elle chassait le danger.
Souvent un même prix leur était partagé.
Oh ! le bel or clair et léger
Qui dans ces mois heureux illuminait ma bourse !

 
PIERRE

Avec mes deux pigeons dont le volant essor
Se jouait dans le vent et frôlait les nuages
J’ai bien des fois tenté le sort.
Ils partaient quelque jour pour de lointains voyages
Portés de train en train, jusqu’à la mer là-bas.
Leur retour au pays était lutte et combat.
D’une aile ardente et enivrée,
Ensemble ils traversaient de terribles contrées
Où l’aigle immense et brusque autour des monts planai
Au cœur même du ciel le péril foisonnait,
Mais la vitesse de leur course
S’exaltait au point qu’elle chassait le danger.
Souvent un même prix leur était partagé.
Oh ! le bel or clair et léger
Qui dans ces mois heureux illuminait ma bourse !

 
JEAN

Ils n’ont jamais quitté ni mon pré, ni ma cour,
Mes coqs aigus et fiers, mes coqs pattus et lourds
Dont le destin est d’être rois et d’être maîtres.
Ils savent ce qu’il faut ou défendre ou permettre,
Pour que règne la paix en son cours régulier.
Que deux poules se disputent au poulailler,
Sitôt, l’un d’eux se campe et se maintient entre elles,
Et sa seule présence apaise les querelles.
Hélas, pourquoi faut-il que depuis quelques mois
Mes coqs perdent l’orgueil qui sonnait dans leur voix,
Et que leur ardeur tombe ainsi que leur jeunesse.

PIERRE

J’observe mes pigeons et les soigne sans cesse.
Or, je devine aussi, à des signes nombreux,
Que leur vaillance est morte et qu’ils deviennent vieux.

 
JEAN

Ils n’ont jamais quitté ni mon pré, ni ma cour,
Mes coqs aigus et fiers, mes coqs pattus et lourds
Dont le destin est d’être rois et d’être maîtres.
Ils savent ce qu’il faut ou défendre ou permettre,
Pour que règne la paix en son cours régulier.
Que deux poules se disputent au poulailler,
Sitôt, l’un d’eux se campe et se maintient entre elles,
Et sa seule présence apaise les querelles.
Hélas, pourquoi faut-il que depuis quelques mois
Mes coqs perdent l’orgueil qui sonnait dans leur voix,
Et que leur ardeur tombe ainsi que leur jeunesse.

PIERRE

J’observe mes pigeons et les soigne sans cesse.
Or, je devine aussi, à des signes nombreux,
Que leur vaillance est morte et qu’ils deviennent vieux.

Finis les beaux départs et les stridents voyages
À travers l’or du ciel et l’argent des nuages,
Dans le vent merveilleux qui bondit de la mer !
Sur mon pignon, de mousse et de lichen couvert,
Ils ramassent leur corps en boule frissonnante,
Leur bec, pour se distraire, agace une humble plante
Dont la graine a poussé sur le bord de mon toit.
Un beau matin, s’envoleront, en tapinois,
Les pigeonnes qui sont encor leurs deux compagnes,
Pour rechercher, au loin, par les vastes campagnes,
Sous des chaumes plus drus, de plus chaudes amours.

JEAN

Si l’ardeur de mes coqs n’était point en décours,
J’hésiterais peut-être
À présenter au Saint mon offrande champêtre ;
Que leur crête pâlisse et durcisse, tant mieux :
Car je ne voudrais pas qu’aux enchères banales,

Finis les beaux départs et les stridents voyages
À travers l’or du ciel et l’argent des nuages,
Dans le vent merveilleux qui bondit de la mer !
Sur mon pignon, de mousse et de lichen couvert,
Ils ramassent leur corps en boule frissonnante,
Leur bec, pour se distraire, agace une humble plante
Dont la graine a poussé sur le bord de mon toit.
Un beau matin, s’envoleront, en tapinois,
Les pigeonnes qui sont encor leurs deux compagnes,
Pour rechercher, au loin, par les vastes campagnes,
Sous des chaumes plus drus, de plus chaudes amours.

JEAN

Si l’ardeur de mes coqs n’était point en décours,
J’hésiterais peut-être
À présenter au Saint mon offrande champêtre ;
Que leur crête pâlisse et durcisse, tant mieux :
Car je ne voudrais pas qu’aux enchères banales,

Quand une poule est mise en vente à côté d’eux,
Leur amour réveillé fît tout à coup scandale.

PIERRE

Comme je ne voudrais pas que mes pigeons trop prompts
Prissent soudain leur vol, de la main qui les tâte :
Un bon marché se fait sans surprise et sans hâte,
Et sans qu’il en résulte un motif à jurons.

JEAN

Ainsi chacun tire avantage,
Et du don qu’il apporte et du don qu’il reçoit.
Nous honorons le ciel en faisant bon emploi
De ce qui est marqué par l’usure et par l’âge ;
Et nos gestes pieux ne nous ruinent pas.

Quand une poule est mise en vente à côté d’eux,
Leur amour réveillé fît tout à coup scandale.

PIERRE

Comme je ne voudrais pas que mes pigeons trop prompts
Prissent soudain leur vol, de la main qui les tâte :
Un bon marché se fait sans surprise et sans hâte,
Et sans qu’il en résulte un motif à jurons.

JEAN

Ainsi chacun tire avantage,
Et du don qu’il apporte et du don qu’il reçoit.
Nous honorons le ciel en faisant bon emploi
De ce qui est marqué par l’usure et par l’âge ;
Et nos gestes pieux ne nous ruinent pas.

 
PIERRE

Et Saint Amand et Saint Corneille
S’éjouissent et s’émerveillent
D’entendre, dans leurs troncs, tinter le clair ducat,
Et leur faveur, comme avivée,
Se départit pour de longs jours
Aux nouvelles couvées
Dont s’animent nos clos et se peuplent nos cours.

 
PIERRE

Et Saint Amand et Saint Corneille
S’éjouissent et s’émerveillent
D’entendre, dans leurs troncs, tinter le clair ducat,
Et leur faveur, comme avivée,
Se départit pour de longs jours
Aux nouvelles couvées
Dont s’animent nos clos et se peuplent nos cours.

Collection: 
1912

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