Conte de fées

 
Tout près d’ici je sais un beau prince enchanté
Qu’éveille quelquefois une fée à la brune
En lui mettant au front un nimbe de clarté :
Ce prince, c’est le lac, et la fée est la lune.

La fée aime le prince, et le prince lui rend
Cet amour qu’une nuit d’étoiles vit éclore ;

Mais l’espace se trouve entre les deux si grand
Qu’ils en pleurent parfois jusqu’aux feux de l’aurore.

Lui l’attend tout le jour, sombre et chagrin souvent,
Lorsqu’il voit sur le ciel s’étendre un gros nuage
Qui, rapide, poussé par le souffle du vent,
Va lui prendre, rival, sa mignonne au passage.

Elle, toujours sereine en ses calmes splendeurs,
Le voyant malheureux et morose loin d’elle.
Lui jette, lumineux jusqu’en ses profondeurs,
Son regard débordant de tendresse éternelle.

Et sous l’humide éclat de ce regard si pur,
Le prince sent la paix qui rentre dans son être ;
Celle qui tout là-haut rayonne dans l’azur
N’est plus si loin de lui qu’elle paraissait être…

Ils s’aimeront ainsi jusqu’à la fin des temps,
Sans voir encor le jour de leur union poindre :
Elle ne peut quitter ses parvis éclatants,
Et lui dans l’infini ne saurait la rejoindre…

Il existe, endormis sous un pouvoir fatal,
Bien des princes, ayant tous leur fée adorée,
Et les princes c’est nous, la fée est l’Idéal
Dont notre âme ici-bas se trouve séparée.

18 septembre 1880.

Collection: 
1886

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