Conte breton

Deux époux d’humeur inégale,
La femme, le cœur sur la main,
L’homme aussi méchant qu’une gale,
Le cœur sec comme un parchemin,

N’en parvinrent pas moins ensemble
À l’âge de quatre-vingts ans ;
S’assemble qui ne se ressemble
Est proverbe des temps présents.

Quoi qu’il en soit, tous deux moururent
Même jour, même heure. Et tandis
Qu’on les enterrait, ils coururent
À la porte du Paradis.

Saint Pierre sortit de sa loge,
Les fixa de cet œil subtil
Dont à faire n’est plus l’éloge :
« Que demandez-vous ? » leur dit-il.

— La belle demande ! — « Pardine !
Nous voudrions entrer ici,
Pourquoi nous fais-tu grise mine
Ne nous reconnais-tu pas ? — Si,

« Si, dit saint Pierre. Toi, la femme,
Tu peux entrer en Paradis.
Mais, toi, mari, qui fus infâme,
N’entreras pas, je te le dis.

« Toi, tu fus bonne, tu fus brave,
Tu pratiquas la charité.
Ton mari, toujours à la cave,
Vécut dans l’immoralité.

— C’est vrai, mais je l’aimais mon homme,
Et je l’aime encore aujourd’hui.
Il était méchant, mais en somme.
Je vécus heureuse avec lui…

— Mais il te battait comme plâtre ?
— Mais je l’aimais ! — Mais, sacrebleu !
Ton époux était idolâtre,
Ne craignant ni diable, ni Dieu…

« Et de plus c’était un Alphonse ;
Ah ! fi ! madame, fi fi fi !
— Je l’aimais, » telle est la réponse
Invariable qu’elle fit.

— Il n’importe, qu’il aille au diable !
Non, mais me vois-tu recevoir
Un être à ce point méprisable ?
Pour entrer ici faut avoir

« Une âme blanche comme un cygne.
— Tel est l’ordre du Colonel.
La consigne, c’est la consigne
Depuis le Temps originel.

« Et puis, assez de bavardage.
Entre, toi, si le cœur t’en dit.
Ton mari se trompe d’étage,
Je ne puis le prendre à crédit…

« Nous avons ici plus d’un ange,
Ange pur, ange radieux :
Va, tu ne perdras rien au change :
Un mari jeune au lieu d’un vieux !

— Non, si vieux qu’il soit et canaille,
Mon mari, je l’aime après tout,
— Dit la pauvre femme — où qu’il aille,
Je le suivrai partout, partout.

« Ton Paradis — comme tu penses —
Ne saurait que m’être hideux
Loin de m’être une récompense,
Si nous n’y entrons tous les deux. »

Collection: 
1939

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