Charme dangereux

 

LE charme dangereux de la mort est en toi,
Automne, on le respire en ton souffle, on le boit,
Tu fais le ciel couleur de cendre et de fumée,
Et ton ombre est si douce, ô saison bien-aimée,
Que dès qu’elle a touché, pâle encor, notre seuil,
L’âme faible s’y couche ainsi qu’en un cercueil,
Elle entend s’élever tes plaintes a nos portes
Dans le frémissement soyeux des feuilles mortes ;
Elle sait que les yeux des astres sont fermés,
Que les ardents parfums des fleurs se sont calmés,

Que tout se pacifie et s’endort et se penche,
Que du soir désolé la tristesse s’épanche
Un grand désir d’absence et de détachement,
Un vœu profond de n’être plus, infiniment,
S’emparent bientôt d’elle, et c’est ta faute, Automne,
Qui la berces d’un chant funèbre et monotone !
Ta voix magicienne enchante et fait mourir ;
Les lys l’ont écoutée : ils se sont vus flétrir ;
Elle est belle et pareille à de beaux yeux de femme :
Volupté du regard, hélas ! malheur de l’âme !
Voix de sirène blanche en l’écume des flots,
Dont l’accent merveilleux, trompant les matelots,
Promet l’enivrement suprême et le délice
Et dont le charme traître à l’abîme les glisse…
Aussi, saison funeste et pleine de langueur,
Adorant la beauté fine de tes nuances,
Mais, comme un doux poison, craignant tes influences,
Je te garde mes yeux et te reprends mon cœur !

Collection: 
1898

More from Poet

  • Dans le vent qui les tord les érables se plaignent,
    Et j'en sais un, là-bas, dont tous les rameaux saignent !

    Il est dans la montagne, auprès d'un chêne vieux,
    Sur le bord d'un chemin sombre et silencieux.

    L'écarlate s'épand et le rubis s'écoule
    De sa large ramure...

  •  

    DANS l’océan du ciel d’avril, gonflant leurs voiles,
    Les nuages, pareils à de légers bateaux,
    Naviguent, éclatants, vers des îles d’étoiles,
    Avec la majesté des cygnes sur les eaux.

    Ils voguent, sans troubler d’un remous l’onde bleue ;
    ...

  •  

    LES Visions du soir passent, comme des vierges
    En fins souliers d’azur, en robes de lin blanc,
    Et leurs doigts délicats sont étoilés de cierges
    Dont le feu pâle est sous l’haleine vacillant.

    Les Visions du soir, cortèges angéliques,
    Chantent, dans la...

  •  

    J’IMPROVISE ces vers mystérieux pour une
    Qui rayonne de grâce et de blanche beauté,
    Dont le regard semble un crépuscule d’été
    Qui se meurt lentement par un lever de lune.

    Je ne sais pas pourquoi je lui donne ces vers.
    Je vois dans ma pensée éclore son...

  •  

    AUX feux de mon esprit qui s’allume dans l’ombre,
    Je me regarde vivre avec étonnement :
    Une fierté triomphe en ma stature sombre,
    Et je suis comme un roi promis au firmament !

    J’ai des chants de victoire au cœur, je me célèbre !
    Comme autrefois David...