Chanson du soir

 
Sur nos fronts déployant ses ailes,
La nuit aux yeux rêveurs étend
Son voile émaillé d’étincelles
Comme la robe d’un sultan.

Le lac enveloppe ses grèves
D’un long baiser rempli d’amour :
Le monde s’abandonne aux rêves
Qui naissent au déclin du jour.

L’âme s’envole sur la trace
D’un nuage au reflet vermeil,
Qui fuit tout joyeux dans l’espace
A la poursuite du soleil.

Elle franchit les monts tranquilles,
Qui vont songeurs dans l’infini
Perdre leurs sommets immobiles
Où les grands aigles font leur nid.

Elle sourit aux vertes plaines
Où paissent les troupeaux joyeux,
Écoute les chansons lointaines
Qui montent dans l’azur des cieux ;

Elle se penche sur les rives
Des grands fleuves au bord glissant,
Et dont les ondes fugitives
A l’inconnu vont en dansant ;

Elle effleure les sombres plages
Où, contre les rochers géants,

Viennent avec des cris sauvages
Mourir les flots des océans ;

Elle erre sur les forêts vierges,
Passe au-dessus des hauts palmiers
Dont les troncs droits semblent les cierges
D’un temple aux immenses piliers…

Et, quittant les terres connues,
Elle s’en va, d’un seul élan,
Au delà des rapides nues,
Dans le grand ciel étincelant.

Puis elle s’arrête, indécise,
Croyant reconnaître, égaré
Dans un murmure de la brise,
Un timbre de voix adoré…

Doux souvenir d’êtres qu’elle aime,
Partis pour des lieux inconnus,
Et qui, depuis l’heure suprême,
Ne sont, hélas ! pas revenus !…

Et l’âme, triste, se réveille,
Frissonnant dans l’ombre du soir :
Le nuage à l’aile vermeille
A disparu dans le ciel noir…

Décembre 1880.

Collection: 
1886

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