L’aigle, malgré l’ardeur qui fait mouvoir son aile,
N’atteint pas le soleil que cherche sa prunelle,
Et l’astre d’or s’en va dans l’abîme inconnu,
Comme un roi qui descend les marches de son trône,
Le front ceint d’une immense et superbe couronne,
Avant que jusqu’à lui l’oiseau soit parvenu.
Il a dû s’arrêter dans cette course altière,
A l’heure où, s’enivrant d’espace et de lumière,
Il montait en planant dans les champs de l’azur ;
A l’heure où, débordant d’une joie inconnue,
En se voyant tout seul au milieu de la nue,
Il se croyait déjà le maître du ciel pur.
Il n’a pu s’affranchir à jamais de la terre ;
Sur un rocher lointain, abrupt et solitaire,
Ses aiglons affamés suivent dans l’infini
Son vol audacieux qui dans l’air se balance ;
Mais, si loin qu’il puisse être, au milieu du silence,
L’aigle croit les entendre et revient à son nid.
C’est ainsi que parfois l’âme humaine s’élève
Et s’en va dans le ciel sur les ailes du rêve :
Elle a soif d’inconnu, d’azur, d’immensité ;
Mais sitôt qu’elle a fuit les chaînes de la vie,
Le souci, noir aiglon dont elle est poursuivie,
La force à revenir dans la réalité.
6 mars 1882.