Le poëte jamais n’est maître de sa lyre,
Dont les cordes souvent éclatent sous ses doigts ;
C’est lorsqu’il sent le plus qu’il peut le moins décrire,
Et que, voulant chanter, il demeure sans voix.
Lorsqu’à l’entour de lui tout n’est que poésie,
Que la nature en fête étale ses splendeurs,
Seul il reste muet, l’âme comme saisie,
Se sentant trop petit pour de telles grandeurs.
Et son cœur frémissant déborde d’harmonie,
Il écoute vibrer de célestes accords ;
Mais un lien puissant enchaîne son génie
Il demeure vaincu, malgré tous ses efforts.
Il voit les astres d’or dans les espaces luire,
Il voit le grand ciel bleu se mirer dans les flots,
Il entend leur langage et ne peut le traduire
Que par d’amers soupirs, pareils à des sanglots.
Ah ! nul ne peut savoir ce qu’il souffre en lui-même,
Aux heures d’impuissance où, malgré son désir,
Il comprend, envahi par un regret suprême,
Qu’il touche à l’idéal sans pouvoir le saisir.
Il est comme un oiseau captif dans une cage,
Et qui, par les barreaux de sa claire prison,
Contemple, dominé par un désir sauvage,
L’air bleu qui librement circule à l’horizon.
C’est en vain qu’il voudrait s’élever dans l’espace,
Se perdre en cet azur dont il se voit banni ;
Il retombe brisé, l’aile meurtrie et lasse,
Les yeux mornes, encor tournés vers l’infini.
22 février 1881.