Bonsoir

 
La nuit étoilée et sereine
Descend ; et déjà, loin du bord,
Le vaisseau glisse et nous entraîne…
Penché sur le mouvant sabord,
Je suis la barque fugitive
Qui vous reconduit vers la rive,
Vous que mes yeux voudraient revoir !
Mais la houle est vaste et profonde ;
La barque a disparu sur l’onde :
Bonsoir, ô mes frères, bonsoir !

Le vaisseau fuit, le vent se lève ;
Au large, au large, il suit son cours.
Des flots, par instants, sur la grève,
J’entends les bruits lointains et sourds.
Le jeune ami de mon jeune âge
Sur les rocs déserts du rivage
En pleurant est venu s’asseoir.
Aux clartés pâles des étoiles
Il voit au loin blanchir nos voiles :
Bonsoir, mon triste ami, bonsoir !

De mon seul appui dans ce monde
J’ai donc quitté le toit si cher !
Et me voilà, roulant sur l’onde,
Seul sur la vaste, vaste mer !
Là-bas, qui m’aimera comme elle ?
Vierge à l’angoisse maternelle,
Pardonnez-moi son désespoir !
C’est vous que sur les mers on prie :
Consolez-la, Vierge Marie !
Bonsoir, ô ma mère, bonsoir !

Hélas ! un compagnon fidèle,
Mon chien hurle et me cherche en vain ;
Ma sœur à ses côtés l’appelle :
Il vient se coucher sous sa main.
Léchant la main qui le caresse,
Sa morne et muette tendresse
Semble parler dans son œil noir !
Assise au seuil de ma demeure,
Ma sœur se tait, mais elle pleure :
Bonsoir, ma pauvre sœur, bonsoir !

Oiseau pêcheur, vers le rivage
Tu reviens au coucher du jour ;
Tu vas retrouver sur la plage
Et ton nid d’algue et ton amour.
Tandis que l’ombre t’y ramène,
Vers d’autres cieux le vent m’entraîne.
Sur ces bords, mon natal espoir,
Porte ma plainte et ma tristesse :
Comme il s’éloigne avec vitesse !
Bonsoir, heureux oiseau, bonsoir !

Et des monts les sommets sublimes
Déjà sont voilés à mes yeux.
Pics abaissés des hautes cimes,
Recevez mes derniers adieux !
Quand le soleil sur cette terre
Demain luira, fils solitaire,
Hélas ! je ne pourrai plus voir
Le ciel si bleu de la patrie :
Adieu donc, mon île chérie !
Bonsoir, ô mon pays, bonsoir !

Collection: 
1835

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