I
Vagues immensités des sombres océans,
Que laboure sans fin la houle impétueuse,
Abîmes insondés, gouffres noirs et béants
Qu’illumine d’éclairs la foudre tortueuse ;
O forêts, qui penchez vos sapins éperdus
Sur les torrents fangeux des vallons taciturnes,
Montagnes de granit dont les rocs confondus
Se heurtent au choc sourd des rafales nocturnes.
Vastitudes des cieux sans limite et sans fin,
Où les mondes toujours recèlent d’autres mondes,
Où chaque étoile d’or cache un blond séraphin ;
Éthers immaculés, bordés d’horizons mondes,
Où penché sur son trône où s’arrête la nuit,
Un bras sur le soleil et l’autre sur là lune,
Dieu pleure incessamment son éternel ennui
Avec un bruit pareil à la mer sur la dune ;
Douloureuses rumeurs des humaines cités,
Où le blasphème sourd s’accouple au rire impie,
Où les cris de l’orgie à tous les vents jetés
Hurlent près de la faim sur la borne accroupie ;
Bruits des mers, bruits des cieux, clameurs des ouragans,
Murmures souterrains des méditerranées,
Avalanches des alps aux bonds extravagants,
Universelles voix ici-bas déchaînées ;
Quelle douleur immense éplore vos accents ?
Qui jeta dans vos seins cette plainte infinie ?
Pleurez-vous l’homme mort ou les mondes naissants,
Ou la croyance en Dieu de la terre bannie ?
Pourquoi tous vos accords sanglotent-ils toujours ?
Vos lamentations sont-elles le suaire
Où l’espoir et la foi tombent avec les jours
Pour combler da néant l’immobile ossuaire ?
II
Il est de ces moments
Où je voudrais étreindre,
Où je voudrais atteindre
De mes embrassements
Tous les êtres qui pleurent
Et dont le cœur meurtri
N’a plus même de cri
Pour bénir ceux qui meurent.
Je voudrais sur mon sein
Presser l’onde, la terre,
La femme solitaire,
Et l’enfant orphelin ;
Les âmes torturées
Qui s’en vont vers l’amour,
Puis, à la fin du jour,
Reviennent, déchirées ;
Tout ce qui sous les cieux
En soi porte un ulcère
Qu’incessamment lacère
Quelque deuil anxieux,
Tout cœur qui se retire
Pour pleurer en secret
Et dont nul ne connaît
L’invisible martyre.
III
Mais le monde est immense, et bien avant le soir,
Sous mon propre deuil je succombe ; —
Mais je puis dire à tous : — Mes frères, au revoir
Au grand rendez-vous de la tombe.