Anthologie des poètes français du XIXème siècle/1887/Les Ânes


Leur poil est le poil gris qui sied aux philosophes.
Ce vêtement, pareil aux solides étoffes,
Luit convenablement sans tirer le regard.
Comme on les traite bien, ils n’ont pas l’air hagard
Des nôtres, malheureux et las, rendus cyniques.
Leurs grands yeux doux sont pleins de choses ironiques :
Mais après tout, ils sont des ânes, et leur dos
Doit porter le labeur honnête des fardeaux.
Seulement ce n’est pas l’herbe ni la farine
Dont l’odeur vaine excite et tente la narine ;
Mais les figues, les fruits délicats et mielleux,
Les limons doux, l’amas des raisins merveilleux
Dont les coteaux soufrés cuisent la chair exquise.
La balance du bât est ajustée et mise
De sorte qu’elle soit pour eux un bercement.
Comme un pavillon d’or, brille joyeusement,
Faisant prisme et saillie entre les deux oreilles,
Le haut collier de cuivre aux teintes sans pareilles ;
Et, de chaque côté du front pensif et gai
Oui penche à peine à terre et n’est pas fatigué,
Verts, et d’un juste accord rythmés au pas agile,
Tremblent des rameaux pris au laurier de Virgile.

Collection: 
1887

More from Poet

  • Derrière l'épaisseur lucide du carreau
    Un paysage grêle, une miniature,
    Fait voir chaque détail plus petit que nature
    Et tient entre les quatre arêtes du barreau.

    Ce transparent posé d'aplomb sur le tableau
    Montre un ciel triste encore et d'une couleur dure,
    ...

  • A Catulle mendès.

    Les Parisiens, entendus
    Aux riens charmants plus qu'au bien-être,
    Se font des jardins suspendus
    D'un simple rebord de fenêtre,

    On peut voir en toute saison
    Des fils de fer formant treillage
    Faire une fête à la maison
    De quelques...

  • À l'abri de l'hiver qui jetait vaguement
    Sa clameur, dans la chambre étroite et bien fermée
    Où mourait un bouquet fait de ta fleur aimée,
    Parmi les visions de l'étourdissement ;

    Pendant qu'avec la joie extrême d'un amant
    Je froissais d'un coeur las et d'une main...

  • Le bal allait finir. Les lustres sur les masques
    Découpaient la lumière en caprices fantasques,
    Et sur les fronts ternis montraient à vif le fard.
    L'oeil était somnambule et le rire blafard.
    La femme avait vieilli de dix ans en une heure.
    Ce n'était pas le beau...

  • Du wagon sombre où rien ne bouge, où rien ne luit,
    Las des rêves, mauvais compagnons pour la nuit,
    Le voyageur, avec le jour, cherchant l'espace,
    Salue en souriant la campagne qui passe :
    Les arbres, les moissons hautes, l'azur des prés
    Lointains, sur le penchant...