Anthologie des poètes français contemporains/1906/Les Maîtres inconnus

Les vieux maîtres anciens, sur la toile ou le fer,
Inscrivaient de leurs mains augustes et hautaines

Leur nom, pour qu’on le sût dans les races lointaines.
Signer leur œuvre était pour eux un souci cher.

D’autres, dont l’art moins haut n’a pas connu l’enfer
De l’orgueil, soldats forts près des grands capitaines,
Ont passé comme va l’eau paisible aux fontaines,
Comme vont les doux bruits se perdre dans la mer.

Une religion de Grèce était qu’un temple
Fût aux dieux inconnus dressé. Le ciel est ample,
Et l’on n’offensait pas Aphrodite aux seins nus !

Ainsi ferai-je d’eux que plus rien ne renomme :
Pour ravir leur mémoire aux vains oublis de l’homme,
Je dresserai ces vers aux maîtres inconnus.

Collection: 
1906

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