Adieux et réponses

 
Poète, en vain tu me compares
Au rossignol, barde des airs ;
Je crains l’éclat dont tu me pares,
Je crains de trop croire à tes vers.

Mes lèvres, de bonheur muettes,
Boiraient au miel de tes accents ;
Car, tu le sais, dieux et poètes,
Ami, se nourrissent d’encens.

Gardons le sceptre à de plus dignes !
Ma muse est ta plus humble sœur.
Du verbe harmonieux des cygnes
Sa voix n’eut jamais la douceur.

Dans nos jours où parfois se mêle
Un chant d’espoir aux chants troublés,
Je n’ai connu de Philomèle
Que les soupirs inconsolés.

Sombre aussi fut ma destinée,
Bien lourds aussi mes maux soufferts,
Ma vie aussi fut enchaînée,
Ma muse aussi connut les fers !

Mais Dieu, qui permit ma souffrance,
A mes lèvres n’a point donné
L’hymne vaillant de l’espérance,
L’hymne aux conquêtes destiné !

Pour lutter je n’eus d’autres armes
Que ma pauvre lyre et mes pleurs ;
Et c’est toujours dans l’eau des larmes
Qu’en secret éclosent mes fleurs.

Si la douleur fait l’harmonie,
Les cœurs me souriront un jour.
Mais, quoi ! tu parles de génie
A moi qui n’ai rêvé qu’amour.

Je suis cet oiseau de passage
Qui n’a de voix que pour gémir,
Et qui s’en va de plage en plage,
Fait pour chanter et pour mourir.

Enivré d’un ciel sans orage,
Oubliant la brume et les flots,
Il chante à l’arbre qui l’ombrage
Des chants qui n’auront point d’échos ;

Des chants que l’arbre qui l’accueille,
Des chants que l’onde aux frais roseaux
Verra tomber avant sa feuille,
Verra tarir avant ses eaux.

Qu’importe ! Il n’est d’écho qui dure,
Et la fleur passe avant l’été.
Ami, la gloire et la verdure
Sont sœurs par la fragilité.

Du bonheur pleurant le veuvage,
Semblable au pèlerin ailé,
J’erre au hasard, loin du rivage
Où mes jours d’enfance ont coulé.

Pour moi la saison rigoureuse,
Hélas ! a devancé le temps,
Et ma tristesse harmonieuse
N’eut point à chanter de printemps.

La douleur connaît mon visage ;
Jeune encor j’appris à souffrir.
Oh ! je suis l’oiseau de passage,
Fait pour chanter et pour mourir.

Mais, quels que soient l’homme et la rive
Que ma nef aborde en son cours,
Si la terre où ma barque arrive
M’ouvre ses bras pour quelques jours ;

Séduit par la beauté des âmes,
Séduit par la beauté des lieux,
D’un ciel plus doux sentant les flammes
Inonder mon cœur et mes yeux,

Je chante, heureuse créature,
Enfant par les muses hanté,
Je chante l’homme et la nature,
Je chante l’hospitalité.

Sois donc béni, toi dont la lyre
M’accueille en frère sur ces bords !
Béni dans ton heureux délire !
Béni dans tes heureux transports !

Que le flot à ma nef contraire
Pour toi n’ait jamais de rigueurs !
Que toujours il te porte, ô frère !
Vers des groupes d’îles en fleurs.

Qu’un vent frais chasse tout nuage
Qui pourrait voiler tes beaux jours,
Et, doux chanteur, qu’un doux feuillage
Abrite tes douces amours !

Des muses garde en toi la flamme !
Sois gai ! sois aimant ! sois vainqueur !
La joie est la santé de l’âme !
L’amour est la santé du cœur !

Qu’à ta lèvre ivre d’harmonie
Le ciel, prodiguant les accords,
Donne, avec le pain du génie,
Le pain que réclame le corps !

Et toi, sois à jamais bénie,
Vierge nature, ô vierge sol !
Terre, berceau de Virginie,
O terre où vit l’ombre de Paul !

Île où tant d’âmes fraternelles
Étonnent mon cœur converti !
Île où tant d’amitiés fidèles
A mon espoir n’ont point menti !

De tes jours que l’arbre prospère
N’ait jamais de fruit avorté !
Que pour tes fils tout sage espère
Une intelligente unité !

Garde à tous d’égales tendresses !
Surtout sois douce aux cœurs brisés !
Ils ont tous droit à tes caresses,
Qu’ils aient tous part à tes baisers !

Et moi, dont la lyre éphémère
Pour t’aimer ne vaut pas mon cœur,
Chéris-moi comme une autre mère,
Moi qui suis le fils de ta sœur !

Collection: 
1835

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