Évocations (Vivien)/Les Noyées

Voici l’heure de brume où flottent les Noyées,
Comme des nénuphars aux pétales flétris.
Leurs robes ont l’ampleur des voiles déployées
Qui ne connaîtront plus la douceur des abris.

D’étranges fleurs de mer étrangement parées,
Elles ont de longs bras de pieuvres, et leur corps
Se meut selon le rythme indolent des marées ;
Les remous de la vague animent leurs yeux morts.

Semblable aux algues d’ambre et d’or, leur chevelure
Fluide se répand en délicats réseaux,
Et leur âme est pareille aux conques où murmure
L’harmonie indécise et mouvante des eaux.

Elles aiment les nuits d’agonie et d’orage
Dont l’haleine engloutit les vaisseaux, et celui
Qui va mourir les voit au profond du naufrage,
Quand le dernier rayon de lune s’est enfui.

Elles tendent leurs mains ardentes d’amoureuses,
Elles tendent leurs mains en un geste d’appel,
Et leur lit nuptial aux profondeurs heureuses
S’entr’ouvre, parfumé d’un clair parfum de sel.

Elles aiment les nuits où persistent encore
L’ivresse et la langueur du jour, les nuits d’été
Brûlantes de senteurs, d’astres et de phosphore,
Où le rêve s’enfuit vers l’âpre volupté,

Où Psappha de Lesbôs, leur pâle Souveraine,
Chante l’Aphrodita qui corrompt les baisers
Et qui mêle au désir la stupeur et la haine,
L’Aphrodita qui vint des flots inapaisés,

L’Aphrodita puissante, aux colères divines,
Dont elle apprit jadis les solennels accents,
L’insatiable amour des lèvres féminines,
Des seins nus et des corps vierges et frémissants.

Collection: 
1903

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