NE quitte point encor l’ombre où tu te recueilles,
Élabore en secret la sève de tes vers.
L’arbre, avant de fleurir, sur sa tige et ses feuilles,
Par degrés et longtemps doit monter dans les airs.
Il plonge sous le sol sa racine altérée,
Des sucs inférieurs il s’abreuve sans bruit ;
Mais son jour vient enfin : dans la zone éthérée
Voyez s’ouvrir sa fleur et resplendir son fruit !
Tu crains le ridicule, ô jeune homme insensé !
Autour de toi regarde, interroge les âges :
Partout auprès du Beau boite un masque glacé ;
Il s’est moqué des dieux, des prêtres et des sages ;
Le Juste sur sa croix n’en fut point respecté ;
Toujours aux pieds du Bien son rire âpre circule.
Le Mal seul n’est point ridicule !
On s’est raillé de tout, — de Satan excepté !
Laisse-toi donc railler, jeune homme aux divins songes ;
Crois au Bien, en dépit du lâche et du moqueur ;
Chante, les yeux levés, l’ivresse où tu te plonges ;
Noble, ne rougis point d’avoir un noble cœur.
Berce tes frais pensers au vent de l’harmonie,
Et, comme un arbre en fleur aux bruits mélodieux,
Ouvre tes rêves dans les cieux !
Laisse rire à tes pieds la boiteuse Ironie.
Cap sublime ! debout sur tes crêtes ardues,
J’aime à voir à tes pieds les vagues éperdues
Se briser, inondant ton granit éternel
D’une fumante écume où flotte l’arc-en-ciel.
Souvent, comme un troupeau de sauvages cavales,
Je les vois, secouant leurs crinières rivales,
Franchir tes blocs d’airain dans leurs bonds orageux,
Sur le sol immergé rouler leurs flancs neigeux,
Puis s’enfuir, et laisser aux grèves de leurs plages
La perle et les coraux, l’ambre et les coquillages.
Les vierges, les enfants, douce postérité,
Vont glanant le trésor par l’abîme apporté.
O poète ! cœur jeune, esprit trempé de flamme,
Des passions ainsi le flot gronde en ton âme ;
Mais que ta lèvre chante, et tu verras, charmé,
Vers les mers de l’oubli rouler le flot calmé,
Puis s’éteindre et laisser après soi sur les sables
D’impérissables vers, des chants impérissables.
Inspiré de Miçkiéwicz.
Rompu le gouvernail ! L’équipage en rumeurs
Au bruit des éléments va mêlant ses clameurs.
La voile est en lambeaux, la mer est déchaînée ;
Câbles et mâts brisés sur la vague acharnée
Flottent. La pompe joue. On entend par moments
Dans les flancs du vaisseau d’horribles craquements.
L’air rugit. L’albatros au grand vol circulaire
Plane seul et des vents brave encor la colère.
Présage affreux ! là-bas, comme un dernier espoir,
L’astre plonge et s’éteint sanglant dans le flot noir.
Et l’ouragan triomphe ! et voyez : menaçante,
Une forme, du sein de la houle puissante,
Apparaît ! C’est la Mort ! Sur les crêtes de l’eau
Elle marche visible et va droit au vaisseau.
Des cris ! des pleurs ! — Ceux-ci, que l’épouvante enivre,
Roulent pâmés dans l’onde, et l’onde les délivre.
Là, c’est un groupe ami plongé dans ses adieux.
Celui-ci prie et tombe en regardant les deux.
Quel est ce passager calme sous la tempête ?
Que fait-il à l’écart quand sa tombe s’apprête ?
Il regarde, il écoute, il rêve... — Heureux celui
Qui peut rêver à l’heure où tout sombre sous lui !
Mais plus heureux qui peut, des pleurs dans la paupière,
Embrasser un ami, dire à Dieu sa prière !
Imité de Miçkiéwicz.
Le vent des nuits, flottant sur ta nappe sereine,
Enfle ton onde, ô mer ! de sa plus molle haleine.
Comme un sein virginal que berce un rêve pur,
Belle et calme, tu dors dans ta couche d’azur.
La lune épanche au loin sa lumière tranquille ;
La voile pend au mât, la vergue est immobile ;
Le vaisseau dort cloué sur sa quille de fer ;
L’étoile de Vénus se mire au flot amer.
O mer ! un monstre étrange habite sous ton onde :
Il s’y replie et dort tant que l’aquilon gronde ;
Lorsque le ciel est pur et brille dans tes eaux,
Le polype y déroule au soleil ses anneaux.
O poète ! en ton sein est une hydre glacée :
Elle y dort quand ton cœur lutte avec ta pensée ;
Lorsque ton âme est calme et brille sous tes pleurs»
L’hydre des souvenirs sort de ses profondeurs !
Inspiré de Miçkiéwiécz.
Nous n’aimons plus ! Où donc est cet âge vanté,
Quand des fleurs nous gagnaient le cœur de la beauté ;
Quand le nid d’un oiseau, des fruits, le lait des chèvres,
Faisaient baisser les yeux et sourire les lèvres ?
Les blancs ramiers alors servaient de messagers ;
Mais, ô ramiers I ô cœurs I les temps vous ont changés.
Les hommes sont grossiers, les femmes sont vénales ;
On préfère au bonheur les voluptés banales :
L’une veut ton amour, l’autre veut plus encor ;
Celle-ci veut des vers ; — toutes veulent de l’or !
Dans votre âme sans fond, en vain, ô Danaïdes !
J’ai tout jeté, mon cœur, mes chants, mes dons candides.
Aujourd’hui, comme vous, je veux d’un sort meilleur :
De fou je deviens sage, et de tendre, railleur ;
Et, bien que j’aime encor l’éclat des noires tresses,
Un corps souple, des yeux aux humides caresses,
Aujourd’hui, palpitant sous un regard vainqueur,
Je vous puis tout donner, tout, — excepté mon cœur !
Inspiré de Miçkiéwicz.
C’est un jeune chasseur. Tout le jour, hors d’haleine,
Farouche, il a bravé les flammes de l’été.
Près de la source, enfin, sombre il s’est arrêté.
Ses regards inquiets interrogent la plaine...
Seul, par les prés fleuris, le cours d’eau se promène.
« O bois ! dit-il, jadis mes plus chères amours,
Je veux la voir avant de vous fuir pour toujours !
« La voir sans être vu. » Soudain, sur l’autre rive,
Au galop du coursier la chasseresse arrive,
Fière comme Diane, agreste en ses atours.
De la route ses yeux sondent les verts détours.
Qui donc la suit ? craint-elle un témoin invisible ?
Le cours d’eau par les prés coule clair et paisible.
Et le chasseur tressaille. Une arme est dans sa main.
Il tourne autour de lui des regards de Caïn ;
Il couve à l’horizon sa haine la plus chère ;
Sa lèvre aux plis nerveux sourit amèrement.
O solitude, ô bois, sérénité, lumière !...
Le cours d’eau par les prés coule paisiblement.
Il s’éloigne... il veut fuir à jamais ce rivage ;
Mais sur la route il voit s’élever un nuage,
Et son arme s’abaisse... un œil jaloux et sûr
Ajuste... Le cours d’eau coule riant et pur ;
Un radieux silence assoupit le feuillage...
Tout à coup, sous le ciel, un éclair a couru :
Plus de nuage au loin ! — personne n’a paru !
Imité de Miçkiéwicz.
Tu veux lire en mes yeux — simplicité funeste ! —
Quel secret douloureux je porte au fond du cœur.
Soit I ma sincérité, le seul bien qui me reste,
Contre moi-même, enfant, armera ta candeur.
Mortes sont les vertus de mes vertes années !
Dans leur sève j’ai vu mes espoirs se flétrir :
Un songe ardent brûla mes fraîches destinées,
Et mon cœur s’est fermé pour ne se plus rouvrir !
Pure et suave enfant, sœur des Grâces décentes,
Ne sème point tes vœux sur un sol dévasté !
Dois-je, débris stérile aux tristesses croissantes,
Mêler ton rêve en fleur à mon aridité ?
Ma tendresse au bonheur ne te saurait conduire ;
Même en tes yeux l’amour me sourirait trop tard.
Fait pour aimer, mon cœur est trop haut pour séduire.
D’un bien qu’il ne peut rendre il ne veut point sa part.
A toi mon dévouaient ! ta belle âme en est digne ;
Mais seul je veux porter le poids des jours derniers.
A quelque noble arbuste enlace, ô jeune vigne !
Ta tête virginale aux rêves printaniers.
Ta place est au soleil ; moi, la mienne est dans l’ombre.
Fleuris dans la lumière, âme aux espoirs si beaux !
J’appartiens au passé : laisse le cyprès sombre
Ombrager de son deuil la pierre des tombeaux !
Inspiré de Miçkiéwicz.
Comme l’oiseau des nuits aux yeux lourds et funèbres,
Le Mal veille dans les ténèbres ;
C’est là qu’il tend son piège et grandit son pouvoir.
L’innocence et le jour offusquent sa paupière :
Cache-toi donc dans ta lumière,
Et l’infernal oiseau ne te saura point voir !
Déchiré par le fer, arbre au noble feuillage,
À l’homme, dont la main te mutile et t’outrage,
Tu n’en verses pas moins ton ombre et ton trésor ;
Le flanc tout sillonné de profondes morsures,
Par la lèvre béante où saignent tes blessures
Ta sève coule en larmes d’or.
Poète, fais ainsi : sur la tourbe stupide
Dont l’aveugle fureur t’insulte et te lapide,
Te vengeant en bienfaits du lâche et du pervers,
Dans l’angoisse ineffable où ton cœur se déchire,
Laisse, ô consolateur ! laisse dans ton martyre
Couler le baume de tes vers.
La rose fraîche et vermeille
Ouvre son cœur à l’abeille ;
La blonde fille du ciel
Buvant son âme odorante,
Sur la fleur s’endort mourante,
Ivre d’arôme et de miel.
Cette rose, c’est ta bouche.
Oh ! bienheureuse la mouche
Pour qui la fleur doit s’ouvrir !
Qui du miel dont tu me sèvres,
Un jour, pourra sur tes lèvres
Boire l’ivresse et mourir !
Un jour morne et blafard s’éteignait dans la nue ;
À l’horizon brumeux grondait le flot des mers.
Des arbres dépouillés la flèche aride et nue,
Squelette au noir profil, se dressait dans les airs.
Sur la grève lugubre où rampait la lumière
J’errais et j’entendis se parler deux corbeaux.
L’un à l’autre disait : « Où dînons-nous, mon frère ?
L’espace est nu, la neige a durci les tombeaux. »
Et l’autre : « Un chevalier immobile et sans âme,
Frais égorgé, là-bas est gisant pour toujours.
Nul ne sait qu’il est là, nul, excepté sa dame,
Son faucon et son chien, ses uniques amours.
« Le faucon dans le ciel poursuit l’oiseau sauvage,
Par la plaine le chien chasse joyeusement,
La dame endort aux bras d’un autre son veuvage ;
De sa chair nous pouvons dîner tranquillement.
« Toi, d’un ongle tranchant fouille dans sa poitrine ;
Moi, du bec je ferai sortir ses grands yeux bleus ;
Puis de ses cheveux blonds, toison épaisse et fine,
Arrachons les fils d’or pour notre nid frileux. »
Sa maison vainement guettera son passage ;
Ses grands bois au printemps refleuriront en paix :
Tout l’oublie... et les vents désolés de la plage
Sur ses blancs ossements soufflent seuls à jamais !
Imité d’une vieille ballade anglaise.
La forêt est coupée. Adieu, nobles ramures,
Bois sacrés que la brise emplissait de murmures !
L’oiseau n’a plus son nid sous vos dômes touffus ;
Le fleuve dans ses eaux ne vous réfléchit plus.
Contre l’ardent soleil plus d’ombre hospitalière ;
L’herbe abonde où passa la hache meurtrière.
Vieux amis, leurs grands corps sont couchés à mes pieds !
Ce fut un arbre en fleur, ce tronc où je m’assieds !
Là-bas, sur la montagne aux retraites ombreuses,
Nos ramiers ont porté leurs plaintes langoureuses ;
Le joyeux merle a fui ; tout se tait : — nulle voix
Ne redit pour mon cœur la chanson d’autrefois.
Brises qui sur mon front jouiez avec la feuille,
Vert silence des bois où l’âme se recueille,
Abris mystérieux à mes rêves connus,
O mes premiers amis ! qu’êtes-vous devenus ?
Comme vous, bois sacrés, couché dans la poussière,
De l’herbe sur mon sein, sous ma tête une pierre,
Bientôt je dormirai ! — mais, plein des jours passés,
Qui me rendra les pleurs que sur vous j’ai versés ?
Qu’importe ! Hâtez-vous, fugitives années !
Hâtez-vous ! l’heure est vide et mes fleurs sont fanées.
Pourquoi, tombeau vivant, survivre à ses beaux jours ?
Mon cœur est le sépulcre où dorment mes amours.
Imité de Cowper.
On marche aux sons voilés du tambour. Sur la plaine
Le soleil luit ; l’oiseau vole au bord du chemin.
Oh ! que n’ai-je son aile ! oh ! que la vie est pleine
De tristesse ! Mon cœur se brise dans mon sein.
Au monde je n’aimais que lui, mon camarade,
Que lui seul, et voici qu’on le mène à la mort.
Pour le voir fusiller défile la parade ;
Et c’est nous, pour tirer, nous qu’a choisis le sort.
On arrive : ses yeux contemplent la lumière
De ce soleil de Dieu qui monte dans le ciel...
Mais d’un bandeau voici qu’on couvre sa paupière :
Dieu clément, donnez-lui le repos éternel !
Nous sommes neuf en rang, déjà prêts sous les armes.
Huit balles l’ont blessé ; la mienne, — de douleur
Leurs mains tremblaient, leurs yeux visaient mal sous les larmes, —
La mienne l’a frappé juste au milieu du cœur.
Imité de l’allemand.
DUO
I
Bienheureuse cette heure, et bienheureux ce jour
Où sous les bouleaux verts, près de la rive humide,
Mon jeune cœur fut pris à ta beauté timide,
Phelly la blonde, ô mon amour !
II
Bénis l’heure et le bois, la grotte à l’eau furtive,
Où, les regards baissés devant toi, mon vainqueur,
Ivre de tes aveux, je me taisais, craintive,
Pour écouter parler ton cœur !
I
L’oiseau, poète ailé de la saison nouvelle,
Plus tendre chaque jour, chante au sommet des bois :
Telle et plus tendre encore à mon âme est ta voix,
Blonde Phelly, ma douce belle !
II
Comme une jeune rose au front de l’églantier
Plus suave à chaque heure ouvre sa fleur naissante,
Telle en mon sein, pour toi qui l’emplis tout entier,
Fleurit ma tendresse croissante.
I
Les chauds regards du ciel, les gais soleils d’été,
Souriant dans l’azur à la moisson dorée,
Sont moins doux à mes yeux que ta tête adorée,
Phelly la blonde, ô ma beauté !
II
La rapide hirondelle, au loin perçant la nue,
Annonce les jours clairs et le printemps fleuri ;
Mais à mes yeux combien plus douce est ta venue,
Toi de mon cœur l’oiseau chéri !
I
Aux heures du soleil, de miel ivre et de flamme,
Le papillon s’endort dans le lys argenté :
Ma lèvre sur ta lèvre a bu la volupté,
Blonde Phelly, fleur de mon âme !
II
Aux heures du silence et du soir embaumé,
Quand la rose des nuits ouvre au zéphyr sa feuille,
Ton souffle est plus suave, ô mon doux bien-aimé,
Que la senteur du chèvrefeuille.
I
Aux largesses du sort chacun rêve à son tour :
L’un aspire à la gloire, et l’autre à la fortune.
Mon ciel n’a qu’une étoile, et ma pensée est une,
Et c’est Phelly, ma blonde amour !
II
Que sont les biens du monde et tout l’or de la terre ?
La mouche au bleu corsage a plus de prix pour moi.
Oh ! mon bien le plus doux, ma gloire la plus chère,
C’est toi, mon bien-aimé, c’est toi !
Imité de Burns.
Des grands blés verts quand l’alouette
Montait vibrante dans l’azur,
Sur l’herbe où croit la violette,
Du printemps je buvais l’air pur.
Par-dessus les hautes montagnes
Regardait l’œil d’or du soleil ;
Au loin souriaient les campagnes :
« Tels ton sourire et ton réveil,
Disais-je, ô ma rebelle,
Philis la belle ! »
Du fleuve égayant les rivages,
Les nids chantaient sous les buissons ;
Assis dans les trèfles sauvages,
Muet, j’écoutais leurs chansons.
Suave et des zéphyrs bercée,
La rose ouvrait sa vierge fleur ;
Son front penchait sous la rosée :
« Telles ta grâce et ta fraîcheur,
Disais-je, ô ma rebelle,
Philis la belle ! »
Les ramiers sous l’allée ombreuse
Se disaient leur félicité ;
Ivres d’aimer, leur voix heureuse
Semblait gémir de volupté.
« Sous ce beau ciel baigné de flamme,
Par ce doux mois cher à l’Amour,
Puisse ainsi s’amollir ton âme
Et ta voix gémir à son tour,
Disais-je, ô ma rebelle,
Philis la belle ! »
Imité de Burns.
Lorsque nos cœurs ont lié connaissance,
John, mon ami, votre front était beau ;
Vos noirs cheveux, dans leur jeune abondance,
Brillaient pareils à l’aile du corbeau.
Et maintenant chauve et nud il se penche :
Sur nos cheveux les hivers ont passé.
Mais béni soit ce front lisse et glacé,
John, mon vieil homme, et votre mèche blanche !
Gais pèlerins qu’un même toit rassemble,
John, mon ami, ma main dans votre main,
Par tous les temps, sur la colline, ensemble
Nous avons fait, heureux, un dur chemin.
Et maintenant que le soleil décline,
Il faut descendre à pas tremblants et lourds ;
Mais nous irons, mon John, et pour toujours,
Dormir au pied de la même colline !
Imité de Burns.
Le bengali peut dire au rossignol : « Mon frère. »
Quand l’homme sous son toit le retient prisonnier,
Sous les barreaux sa voix languit muette et fière ;
Il ne chante jamais pour son brutal geôlier.
Si divine est sa voix, son humeur est sauvage :
Trop haut est son instinct pour subir l’esclavage !
Son gosier d’or se tait dans un air infecté.
A son chant pur il faut l’air vierge des savanes,
Les bois, les monts d’azur, le ciel vaste où tu planes,
O soleil ! ô symbole ! ô sainte liberté !
Peuples, défiez-vous de ces pauvres natures,
Vils oiseaux, vils chanteurs aux instincts prosternés,
Qui, dans l’auge des rois becquetant leurs pâtures,
Gloussent leurs vers aux pieds de monstres couronnés.
Quand un Tibère abject règne, du vrai poète
Sur un sol asservi la voix reste muette :
Dans un silence altier s’abrite sa fierté.
Seul, couvant à l’écart sa lyre et sa souffrance,
S’armant contre le sort d’une sainte espérance,
Libre, il attend votre heure, ô Muse ! ô Liberté !
Sous le myrte et les fleurs vous cachiez votre épée,
Couple vaillant, le jour où, vengeant la cité
D’Athènes, vous avez, sur sa pourpre usurpée
Immolant le tyran, fondé la liberté !
Non, vous n’êtes point morts ! vos âmes bienheureuses
De l’Hadès oublieux n’ont point subi l’affront.
Vous êtes au pays des Ombres valeureuses,
Près du fier Diomède et d’Achille au pied prompt.
Sous le myrte et les fleurs nous porterons l’épée
En souvenir de vous, ô vengeurs fraternels
Dont la main dans le sang d’Hipparque s’est trempée,
Et de la liberté releva les autels !
Votre gloire croîtra d’âge en âge, bénie ;
Votre nom survivra, des siècles respecté :
Vous avez, ô héros ! tué la tyrannie.
Vous avez, ô sauveurs ! fondé la liberté.
Imité de Callistrate.
J’ai décoché dans l’air la flèche à pointe d’or ;
Elle est allée au loin s’abattre sur la terre.
Si rapide elle a fui dans sa course légère
Que mon regard n’a pu la suivre en son essor.
J’ai soupiré dans l’air un chant fait de tristesse ;
Bien loin il est allé s’abattre sur le sol.
Est-il donc un regard ailé dont la vitesse
Puisse à travers le ciel suivre un chant dans son vol ?
Longtemps, longtemps après j’ai trouvé dans un chêne
La flèche à pointe d’or, enfoncée à demi ;
Et le chant où mon âme a soupiré sa peine,
Vivant, je l’ai trouvé dans le cœur d’un ami.
Imité de Longfellow.
Tell me, moon, thou pale and grey
Pilgrim of heaven’s homeless way,
In what depth of night or day
Seekest thou repose now ?
SHELLEY.
Dis-moi, mobile étoile aux ailes de lumière,
Qui poursuis dans l’azur ton vol mystérieux,
Où va ta course ? est-il un but à ta carrière ?
Cloras-tu quelque part tes ailes dans les cieux ?
Dis-moi, lune pensive, ô pâle voyageuse !
Cheminant aux déserts du firmament lacté,
Dans quelle profondeur obscure ou lumineuse,
O lune ! cherches-tu le repos souhaité ?
Dis-moi, vent fatigué qui vas à l’aventure,
Comme un déshérité sans foyer ni repos,
Est-il un nid secret au fond de la nature,
Est-il un nid pour toi dans l’arbre ou sur les flots ?
Dis-moi, mer tourmentée au murmure sauvage,
Qui te plains à la nuit, qui te plains au soleil,
Par delà l’horizon est-il quelque rivage
Où tu doives trouver ton lit et le sommeil ?
Et toi, cœur inquiet, plus agité que l’onde,
Plus errant que la brise et qu’un rien fait gémir,
Est-il un lieu béni, dans l’un ou l’autre monde,
Où tu puisses, mon cœur, oublier et dormir ?