Qu’est-ce que la vertu ? rien, moins que rien, un mot
A rayer de la langue. Il faudrait être sot
Comme un provincial débarqué par le coche
Pour y croire. Un filou, la main dans votre poche,
Concourra pour le prix Monthyon. Chaude encor
D’adultères baisers payés au poids de l’or,
Votre femme dira : « Je suis honnête femme ».
Mentez, pillez, tuez, soyez un homme infâme,
Ne croyez pas en Dieu, vous serez marguillier ;
Et quand vous serez mort un joyeux héritier,
Ponctuant chaque mot de larmes ridicules,
Fera sur votre tombe, en lettres majuscules,
Ecrire : BON AMI, BON PÈRE, BON ÉPOUX,
EXCELLENT CITOYEN ET REGRETTÉ DE TOUS.
La vertu ! c’était bon quand on était dans l’arche
La mode en est passée, et le siècle qui marche
Laisse au bord du chemin, ainsi que des haillons,
Toutes les vieilles lois des vieilles nations.
Donc sans nous soucier de la morale antique,
Nous tous enfants perdus de cet âge critique,
Au bruit sourd du passé qui s’écroule au néant,
Dansons gaîment au bord de l’abîme béant.
Voici le punch qui bout et siffle dans la coupe,
Que la bande joyeuse autour du bol se groupe.
En avant les viveurs ! usons bien nos beaux ans,
Faisons les lords Byrons et les petits don Juans ;
Fumons notre cigare, embrassons nos maîtresses,
Enivrons-nous, amis, de toutes les ivresses,
Jusqu’à ce que la mort, cette vieille catin,
Nous tire par la manche au sortir d’un festin,
Et nous amadouant de sa voix douce et fausse,
Nous fasse aller cuver notre vin dans la fosse.
LA FARCE DU MONDE, Moralité.