Sur le flot tiède et noir à l’écume de neige,
Qui roule et se confond avec l’ombre des cieux,
Près du lierre des murs que le roulis assiège,
Un poète rêvait ; des pleurs mouillaient ses yeux.
Dernier regard plaintif de la lune voilée,
Un reflet velouté ; doux comme un souvenir,
Se joue avec caprice au creux de la vallée,
Sur les rides d’un lac qui commence à brunir.
« Lève-toi du cercueil, ô pâle jeune fille !
Avec moi sur la rive, ah ! laisse errer tes pas.
Près des grands peupliers, vois-tu briller la quille
De ma nef ? disait-il. Quoi ! tu ne reviens pas ?
» Oh ! n’entendrai-je pas de voix mélancolique
Se bercer dans les airs, murmurer sous l’ormeau,
Au pied des vieilles tours, dans l’ombre fantastique
De l’églantier, qu’un vent fait vaciller sur l’eau ?
» La nuit n’a-t-elle point tes secrets à m’apprendre ?
Sur les ailes des vents, sur ce nuage noir,
Ne te verrai-je pas une fois redescendre,
Pour me dire, je t’aime, et m’embrasser un soir ?
» Mon regard abusé voit ta taille légère
Glisser sous les sapins et puis s’évanouir ;
J’entends au loin tes pas qui froissent la bruyère.
Songe vain ! dont mon cœur n’ose se réjouir.
» Lorsque tes pas foulaient l’herbe de nos prairies
J’allais auprès de toi rêver à nos amours ;
Et nous passions le temps en douces causeries,
Près de ce grand rocker qui scintille toujours.
» L’hiver auprès de l’âtre, assise vers ton père,
Tu lui faisais conter les récits d’autrefois ;
Ou bien vous écoutiez une voix solitaire
Qui murmurait là-bas, sous les neiges des bois.
» Alors le bon vieillard, prenant ta main tremblante,
Sur toi laissait tomber ses pleurs silencieux :
« Écoute, disait-il, c’est ta mère qui chante.
» C’est ta mère au tombeau qui nous bénit tous deux.
» Hélas ! depuis longtemps son ombre, errant sans cesse,
» M’a laissé seul et vieux ici près du foyer.
» Toi seule, ô mes amours ! console ma vieillesse ;
» Ta mère te l’a dit, ne vas pas m’oublier. »
» A ces mots quelques pleurs tremblaient sous ta paupière
Et t'approchant de lui, tu lui baisais le front :
« Bientôt, lui disais-tu, nous reverrons ma mère ;
» En attendant nos cœurs ici-bas s’aimeront. »
» Et pourtant te voilà les mains jointes, muette,
Dormant» sous le linceul qui te voilé aujourd’hui ;
Tandis que le vieillard, la paupière inquiète,
En vain sous l’humble toit te cherche auprès de lui.
» J’ai vu ses cheveux blancs agités par la brise ;
Il pleurait, appuyé sur son bâton noueux,
Là-bas, sur les degrés de cette vieille église,
Où tu priais pour lui dans des jours plus heureux.
» Et moi, je pleure aussi sur mon triste hyménée.
De ses mains, arrachant des roses à l’amour,
Élise, en ton cercueil, la mort t’a couronnée,
Disant d’un ton railleur : « Attends encore un jour. »
» Non, je n’attendrai pas ; je puis aller près d’elle.
Dans son séjour les cœurs sont-ils moins amoureux ?
Non : l’amour d’ici-bas, c’est la pâle étincelle
De cet immense amour que l’on retrouve aux cieux ! »
Il chantait, et sa voix était grave et tremblante ;
Mais soudain, sur les eaux j’entendis un grand bruit :
Le chantre en expirant rejoignait son amante...
L’horloge du clocher avait sonné minuit.