À un détenu politique

 
Souvent, pour alléger ta lourde et morne veille,
Sous tes doigts inspirés la lyre qui s’éveille,
         Mêle d’ineffables accords
Aux mille accords errants qu’exhale la nature,
Aux soupirs de la nuit, au triste et long murmure
         De l’onde expirant sur ses bords.

Car Celui qui dispense une eau féconde et pure
A l’humble fleur des champs qui germa sans culture,
         Comme au lys qu’arrosent nos mains,
Éclaira ton esprit à sa flamme secrète,
Et sur ta lèvre a mis les accents du poète
         Pour consoler tes lendemains.

Quand l’astre de la nuit, entr’ouvrant sa paupière,
Verse d’un jour plus doux la rêveuse lumière
         Sur le sein endormi des eaux,
Alcyon sur les flots d’une amère existence,
Tu gémis, et ta voix, qu’écoute le silence,
         A ses soupirs endort tes maux.

Si le vent de la mer qui balance la feuille,
Si le souffle indolent de la brise qui cueille
         Des baisers sur le sein des fleurs,
D’un murmure apaisant vient bercer ton oreille,
Oui ! demande à ton luth que d’une voix pareille
         Il chante pour sécher tes pleurs.

O toi qu’un sort fatal abreuva d’amertume,
Tu fais bien, trompe ainsi l’ennui qui te consume.
         La Muse a pour le malheureux
Des paroles de paix, des secrets pleins de charmes ;
Elle pleure, s’il pleure, et pour verser des larmes
         Combien il est doux d’être deux !

Chante pour oublier ton affligeante histoire,
Pour que le souvenir qui pèse à ta mémoire
         En soit à jamais effacé ;
Comme ces monts altiers, ces géants de notre île,
Qui montrent dans l’azur un front mâle et tranquille,
         Alors que l’orage a passé.

Fuis le navrant aspect des misères mortelles,
Ami, prends ton essor de ces plages cruelles
         Où gémit l’esclave opprimé,
Vers la sphère sereine où de la poésie
La Muse versera la secrète ambroisie
         Dans ton cœur plein d’un rêve aimé.

Sur un mode plaintif, dans une amère ivresse,
Exhale vers le ciel l’hymne de ta détresse
         Avec tant d’âme et de douceurs,
Que le cœur le plus dur s’attendrisse à tes peines,
Que le geôlier veillant, l’œil fixé sur tes chaînes,
         T’écoute... et répande des pleurs.

Collection: 
1835

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