À Madeleine

 
Or, pendant que Jésus soupait, à Béthanie,
Entouré de fervents, chez Simon le lépreux,
Madeleine franchit le seuil du malheureux,
Et, souriant avec une grâce infinie
Au Christ qui lui montrait de son regard les cieux,
Elle baigna son front d’un parfum précieux.

Cette profusion indigna les apôtres.
— Nous pouvions, disaient-ils, vendre cher ce parfum
Répandu follement et perdu pour chacun,
En partager le prix aux plus pauvres des nôtres. ―
Et le Sauveur, lisant dans le fond de leur cœur,
Très pâle, demanda : ― Pourquoi donc cette aigreur ?

Pourquoi donc avez-vous contristé cette femme ?
Vous aurez constamment des pauvres parmi vous,
Mais il faudra bientôt que je vous quitte tous…
Celle qui répandit sur moi ce pur dictame
Songe à ma sépulture, et son nom répété
Brillera dans le temps et dans l’éternité. ―
 
Ainsi que ta patronne au fond de la Judée,
Tu portes, Madeleine, un vase de grand prix,
Et, souriant avec amour à ton pays,
Tu baignes son front nu du parfum de l’idée,
De ton grand cœur penché tu fais couler sans fin
À nos foyers ravis le flot de l’art divin.

Tu fais couler sans fin dans les âmes l’ivresse
D’un dictame subtil et doux comme un baiser.
Sans trêve, sans repos, sans peur de l’épuiser,
Avec l’enthousiasme ardent de la jeunesse,
Aux humbles, aux obscurs, aux riches, aux puissants,
Tu verses ta pensée en jets éblouissants.

Peut-être songes-tu que dans la noble arène
Où nous devons lutter pour défendre nos droits,
Notre race, meurtrie et ployant sous sa croix,
Devra mourir un jour, et, telle Madeleine
Croyant voir sur un Dieu le tombeau se fermer,
D’un arôme idéal tu veux la parfumer.

Collection: 
1904

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