À ma sœur : « Que veux-tu ? Je l’aimais »

Que veux-tu ? Je l’aimais. Lui seul savait me plaire :
Ses traits, sa voix, ses vœux lui soumettaient mes vœux.
Tendre comme l’amour, terrible en sa colère...
( Plains-moi, connais-moi toute à mes derniers aveux, )
Je l’aimais ! j’adorais ce tourment de ma vie,
Ses jalouses erreurs m’attendrissaient encor ;
Il me faisait mourir, et je disais : « J’ai tort. »
À douter de moi-même il m’avait asservie.
Toi ! tu n’aurais pu voir ses pleurs sans me haïr ;
Sans pleurer avec lui tu n’aurais pu l’entendre ;
Oui, j’accusais mon cœur que tu connais si tendre ;
Oui, je disais : « J’ai tort », en me sentant mourir.
Ainsi, l’humble roseau tourmenté par l’orage
Sous un ciel menaçant incline son courage,
Et se relève encor d’un souffle ranimé :
Je retrouvais la vie en son regard calmé.
Pas une plainte, alors, de sa voix consolante
N’osait troubler l’accent qui reprenait mon cœur ;
Et comme lui soumise, et ravie et tremblante,
De cet orage éteint j’oubliais la rigueur.
Quel doux saisissement, Dieu ! quel muet délire,
Quand son front se cachait sur ce cœur éperdu,
Qu’il demandait pardon, qu’il m’était tout rendu,
Que je sentais ses pleurs mêlés à mon sourire !
Je n’avais pas souffert, il pleurait. Mais, ma sœur,
Je ne parlerai plus de ses torts, de ses larmes,
Ses torts où tant d’amour répandait tant de charmes :
Je n’ai plus qu’à subir sa tranquille douceur.

Sa douceur, l’inflexible ! oh ! comme il m’a punie
            De l’empire d’un jour,
Où périt mon bonheur, dont la paix fut bannie,
Et qu’irrité de craindre il détruit sans retour.
Sans retour ! le crois-tu ? dis-moi que je m’égare ;
Dis qu’il veut m’éprouver, mais qu’il n’est point barbare ;
Dis qu’il va revenir, qu’il revient... Trompe-moi,
Mais obtiens qu’il me trompe à son tour comme toi.
Va le lui demander, va l’implorer... Demeure :
L’orgueil est entre nous, il glace, il est mortel.
N’est-ce pas qu’il me fuit, et qu’il faut que je meure ?
N’est-ce pas que je souffre, et que l’homme est cruel ?
Ne l’accuse jamais. Songe que je l’adore,
            Puisque je vis encore :
Avant qu’à le trahir j’accoutume ma voix,
Ma sœur, j’aurai parlé pour la dernière fois.
Tout change, il a changé ; d’où vient que j’en murmure ?
Pourquoi ces pleurs amers dont mon cœur est baigné ?
Que l’amour a de pleurs quand il est dédaigné !
Tout change, il a changé. C’est là sa seule injure ;
Et s’il fuit un bonheur qui n’a pu le toucher,
Ce n’est pas à l’amour à le lui reprocher.
Tes yeux seuls pleins de moi, s’il daigne unjour y lire,
Lui diront mes adieux que je n’osai lui dire ;
Ton nom comme un écho lui parlera de moi ;
Qu’il soit ton seul reproche en ta douleur modeste ;
Ah ! je l’en défendrais contre tous... contre toi,
            Du peu de force qui me reste.
Imite mon silence ; un stérile remord
Ne ralluma jamais une flamme épuisée ;
        En oubliant qu’il l’a causée,
Dans son étonnement il pleurera ma mort.

Ma sœur, j’ai vu la mort à la triste lumière
Qui passa tout à coup dans le fond de mon cœur,
Un soir qu’il m’observait, roulant sous sa paupière
Je ne sais quoi d’amer, de sombre et de moqueur.
Oh ! que l’âme est troublée à l’adieu d’un prestige !
L’épi touché du vent tremble moins sur sa tige ;
L’oiseau devant l’éclair éprouve moins d’effroi :
Je sentis qu’un malheur tournait autour de moi.
Pour la première fois, dans sa cruelle adresse,
Jouant avec mon cœur qu’il déchirait... hélas !
Il parlait de bonheur sans parler de tendresse ;
Il parlait d’avenir, et ne me nommait pas !

Sa main, qui refusait comme lui de m’entendre,
            S’éloigna de ma main ;
Ses yeux, qui tant de fois me priaient de l’attendre,
            Ne disaient plus : Demain !
Pâle, presque à genoux, suppliante, craintive,
J’ai dit... je n’ai rien dit, mais on entend les pleurs ;
Et ce morne silence où parlent les douleurs,
Ce cri prêt d’entr’ouvrir le sein qui le captive,
Tout en moi, tout parlait : il n’a pas entendu !
C’en était fait, ma sœur. De mes larmes suivie,
Je repris la raison sans reprendre la vie :
J’écoutai... de ses pas le bruit s’était perdu,
J’étais seule. Un enfant qu’abandonne sa mère,
Dont la voix s’est brisée en une plainte amère,
Qui l’attend immobile, interdit, sans couleur,
Trouve un aspect moins triste à son premier malheur ;
Un poids moins douloureux étouffe la pensée,
            Dans son âme oppressée ;
Un fantôme moins noir l’épouvante et l’atteint,
Lorsqu’à ses yeux en pleurs l’espoir... le jour s’éteint.
Le voilà donc fini mon court pélerinage !
Ciel ! que le sien plus beau soit ombragé de fleurs ;
Et, loin de le punir de mes tendres malheurs,
D’un suave laurier couronne son bel âge...

Qui fait fuir dans son nid cet oiseau palpitant ?
De ma dernière nuit c’est l’ombre avant-courrière :
Vois comme, en s’élevant de la noire bruyère,
Aux fleurs de ma fenêtre elle monte et s’étend :
Embrasse-moi, ma sœur, car son aile invisible
M’a touchée et m’entraîne en un sommeil paisible.
Ce rayon qui s’enfuit, non, ce n’est plus le jour,
Ce n’est plus le malheur, non, ce n’est plus l’amour ;
C’est ma dernière nuit. Déjà froide comme elle,
Ma mémoire n’est plus qu’un miroir infidèle.
Oui, tout change, ma sœur, tout s’efface, et je sens
Que la paix ou la mort a coulé dans mes sens.

Collection: 
1806

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