À M. le sénateur L.-J. Forget

 
Nous aimons exalter, nous exaltons souvent
Les preux qui, tout sanglants, pleins d’ardeur obstinée,
Auprès d’un fier drapeau gonflant ses plis au vent,
Succombent au milieu d’une charge effrénée ;
Mais toujours nous passons indifférents devant
Ceux qui luttent sans bruit contre la destinée.

Nous avons des sanglots, nous avons des lauriers
Pour le grand général tombé pour la patrie.
Nous proclamons bien haut la gloire des guerriers ;
Mais nous n’avons pas même un mot de sympathie
Pour les vaillants obscurs qui font, à leurs foyers,
Ivres de dévoûment, les combats de la vie.

Rarement nous songeons à ces cœurs indomptés,
Que le destin pourtant fait saigner à toute heure.
Nous oublions parfois jusqu’aux déshérités
Que torture la faim au fond de leur demeure,
Et la foule, entraînée aux bras des voluptés,
Détourne ses regards du mendiant qui pleure.
 
Dans cette foule ardente, aux délirants propos,
Qu’une indicible fièvre incessamment transporte,
La voix de la pitié n’éveille pas d’échos.
La sainte Charité par moments semble morte,
Et bien des châtelains restent sourds aux sanglots
Des pâles suppliants qui frappent à leur porte.

Le riche bien souvent éloigne avec aigreur
Le paria du sort courbé par la misère…
Cependant parmi ceux qu’enivre le bonheur,
À qui la fée Urgande a tout donné sur terre,
Il en est dont la main s’ouvre comme le cœur,
Pour verser des secours au pauvre prolétaire.

Vous êtes parmi nous un de ces bienfaiteurs,
Et vos dons sont de ceux qu’enregistre l’Histoire.
Vous brillez au milieu des grands consolateurs
Dont le peuple toujours conserve la mémoire,
Car ce que vous donnez aux malheureux en pleurs
Se transforme pour vous en un rayon de gloire.

Aux ravages du temps votre nom survivra,
Et, parce qu’en voulant combattre la souffrance,
Vous payez de votre or la flamme qui luira
Dans l’âtre près duquel gémissait l’indigence,
Au foyer de son cœur plus d’un vous gardera
Le feu cent fois béni de la reconnaissance.

Collection: 
1904

More from Poet

  • Notre langue naquit aux lèvres des Gaulois.
    Ses mots sont caressants, ses règles sont sévères,
    Et, faite pour chanter les gloires d'autrefois,
    Elle a puisé son souffle aux refrains des trouvères.

    Elle a le charme exquis du timbre des Latins,
    Le séduisant brio du...

  • La nuit d'hiver étend son aile diaphane
    Sur l'immobilité morne de la savane
    Qui regarde monter, dans le recueillement,
    La lune, à l'horizon, comme un saint-sacrement.
    L'azur du ciel est vif, et chaque étoile blonde
    Brille à travers les fûts de la forêt profonde....

  • Derrière deux grands boeufs ou deux lourds percherons,
    L'homme marche courbé dans le pré solitaire,
    Ses poignets musculeux rivés aux mancherons
    De la charrue ouvrant le ventre de la terre.

    Au pied d'un coteau vert noyé dans les rayons,
    Les yeux toujours fixés sur...

  • C'est un après-midi du Nord.
    Le ciel est blanc et morne. Il neige ;
    Et l'arbre du chemin se tord
    Sous la rafale qui l'assiège.

    Depuis l'aurore, il neige à flots ;
    Tout s'efface sous la tourmente.
    A travers ses rauques sanglots
    Une cloche au loin se...

  •  
    À Mme C. P.

    La jeune mère, avec son fils, sur le gazon
    Du parc vient de humer la brise printanière.
    Le soleil moribond de sa lueur dernière
    Empourpre vaguement le bord de l’horizon.

    À peine le baiser du vent met un frisson
    Dans les...