I
Laisse gronder le Rhin et ses flots destructeurs,
Muse ; va de Le Brun gourmander les lenteurs.
Vole aux bords fortunés où les champs d'Élysée
De la ville des lis ont couronné l'entrée
Aux lieux où sur l'airain Louis ressuscité,
Contemple de Henri le séjour respecté,
Et des jardins royaux l'enceinte spacieuse.
Abandonne la rive où la Seine amoureuse,
Lente, et comme à regret quittant ces bords chéris,
Du vieux palais des rois baigne les murs flétris,
Et des fils de Condé les superbes portiques.
Suie ces fameux remparts et ces berceaux antiques
Où, tant qu'un beau soleil éclaire de beaux jours,
Mille chars ; élégants promènent les amours.
Un Paris tout nouveau sur les plaines voisines
S'étend, et porte au loin, jusqu'au pied des collines,
Un long et riche amas de temples, de palais,
D'ombrages où l'été ne pénètre jamais :
C'est là son Hélicon. Là, ta course fidèle
Le trouvera peut-être aux genoux d'une belle.
S'il est ainsi, respecte un moment précieux :
Sinon, tu peux entrer ; tu verras dans ses yeux,
Dès qu'il aura connu que c'est moi qui t'envoie,
Sourire l'indulgence et peut-être la joie.
Souhaite-lui d'abord la paix, la liberté,
Les plaisirs, l'abondance, et surtout la santé.
Puis apprends, si toujours ami de la nature,
Il s'en tient comme nous aux bosquets d'Épicure ;
S'il a de ses amis gardé le souvenir.
Quelle muse à présent occupe son loisir.
Si Tibulle et Vénus le couronnent de rose,
Ou si dans les déserts que le Permesse arrose,
Du vulgaire troupeau prompt à se séparer,
Aux sources de Pindare ardent à s'enivrer,
Sa lyre fait entendre aux nymphes de la Seine
Les sons audacieux de la lyre Thébaine.
Que toujours à m'écrire il est lent à mon gré ;
Que, de mon cher Brazais pour un temps séparé,
Les ruisseaux et les bois et Vénus et l'étude
Adoucissent un peu ma triste solitude.
Oui ! les cieux avec joie ont embelli ces champs.
Mais, Le Brun, dans l'effroi que respirent les camps,
Où les foudres guerriers étonnent mon oreille,
Où loin avant Phoebus Bellone me réveille,
Puis-je adorer encore et Vertumne et Pales ?
Il faut un cœur paisible à ces dieux de la paix.
II
Qu'un autre soit jaloux d'illustrer sa mémoire
Moi, j'ai besoin d'aimer ; qu'ai-je besoin de gloire ?
S'il faut, pour obtenir ses regards complaisons,
A l'ennui de l'étude immoler mes beaux ans ;
S'il faut toujours errant, sans lien., sans maîtresse,
Étouffer dans mon cœur la voix de la jeunesse,
Et- sur un lit oisif, consumé de langueur,
D'une nuit solitaire accuser la longueur ?
Aux sommets où Phoebus a choisi sa retraite,
Enfant, je n'allai point me réveiller poète
Mon cœur, loin du Permesse, a connu dans un jour
Les feux de Calliope et les feux de l'amour.
L'amour seul dans mon orme a créé le génie ;
L'amour est seul arbitre. et seul dieu de ma vie ;
En faveur de l'amour quelquefois Apollon
Jusqu'à moi volera de son double vallon.
Mais que tous deux alors ils donnent à ma bouche
Cette voix qui séduit, qui pénètre, qui touche ;
Cette voix qui dispose à ne refuser rien,.
Cette voix, des amans le plus tendre lien.
Puisse un coup d'oeil flatteur, provoquant mon hommage,
A ma langue incertaine inspirer du courage !
Sans dédain, sans courroux, puissé-je être écouté !
puisse un vers caressant séduire la beauté !
Et si je puis encore, amoureux de sa chaîne,
Célébrer mon bonheur ou soupirer ma peine,
Si je puis par mes sons touchants et gracieux
Aller grossir un jour ce peuple harmonieux
De cygnes dont Vénus embellit ses rivages,
Et se plaît d'égayer les eaux de ses bocages ;
Sans regret, sans envie, aux vastes champs de l'air
Mes yeux verront planer l'oiseau de Jupiter.
Sans doute heureux celui qu'une palme certaine
Attend victorieux dans l'une et l'autre arène ;
Qui tour à tour convive et de Guide et des cieux,
Des bras d'une Maîtresse enlevé chez les dieux,
Ivre de voluptés, s'enivre encor de gloire ;
Et qui, cher à Vénus et cher à la victoire,
Ceint des lauriers due Pinde et des fleurs de Paphos,
Soupire l'Élégie et chante les héros.
Mais qui sut à ce point, sous un astre propice,
Vaincre du ciel jaloux l'inflexible avarice ?
Qui put voir en naissant, par un accord nouveau,
Tous les dieux à la fois sourire à son berceau ?
Un seul a pu franchir cette double carrière :
C'est lui qui va bientôt, loin des yeux du vulgaire,
Inscrire sa mémoire aux fastes d'Hélicon,
Digne de la nature et digne de Buffon.
Fortunée Agrigente, et toi reine orgueilleuse,
Rome, à tous les combats toujours victorieuse,
Du poids de vos grands noms nous ne gémirons plus.
Par l'ombre d'Empédocle étions-nous donc vaincus ?
Lucrèce aurait pu seule, aux flambeaux d'Epicure,
Dans ses temples secrets surprendre la nature ?
La nature aujourd'hui de ses propres crayons
Vient d'armer une main qu'éclairent ses rayons.
C'est toi qu'elle a choisi ; toi, par qui l'Hippocrène
Mêle encore son onde à l'onde de la Seine ;
Toi, par qui la Tamise et le Tibre en courroux
Lui porteront encor des hommages jaloux ;.
Toi, qui la vis couler plus lente et plus facile,
Quand ta bouche animait la flûte de Sicile ;
Toi, quand l'amour trahi te fit verser des pleurs,
Qui l'entendis gémir et pleurer tes douleurs.
Malherbe tressaillit au-delà du Ténare,
A te voir agiter les rênes de Pindare' ;
Aux accents de Tyrtée enflammant nos guerriers,
Ta voix fit dans nos camps renaître les lauriers.
Les tyrans ont pâli, quand ta main courroucée
Écrasa leur Thémis sous les foudres d'Alcée.
D'autres tyrans encor, les méchants et les sots,
Ont fui devant Horace armé de tes bons mots.
Et maintenant, assis dans le centre du monde,
Le front environné d'une clarté profonde,
Tu perces les remparts que t'opposent les cieux,
Et l'univers entier tourne devant tes _yeux.
Les fleuves et les mers, les vents et le tonnerre,
Tout ce qui peuple l'air et Thétis et la terre,
A ta voix accouru s'offrant de toutes parts,
Rend compte de soi-même, et s'ouvre à tes regards.
De l'erreur vainement les antiques prestiges
Voudraient de da nature étouffer les vestiges ;
Ta main les suit partout, et sur le diamant
Ils vivront, de ta gloire éternel monument.
Mais toi-même, Le Brun, que l'amour d'Uranie
Guide à tous les sentiers d'où la mort est bannie ;
Qui, roi sur l'Hélicon, de tous ses conquérants
Réunis dans ta main les sceptres différents ;
Toi-même, quel succès, dis-moi, quelle victoire
Chatouille mieux ton cœur du plaisir de la gloire ?
Est-ce lorsque Buffon et sa savante cour
Admirent tes regards qui fixent l'oeil du jour ?
Qu'aux rayons dont l'éclat ceint ta tête brillante,
Ils suivent dans les airs ta route étincelante,
Animent de leurs cris ton vol audacieux,
Et d'un oeil étonné te perdent dans les cieux ?
Ou lorsque de l'amour, interprète fidèle,
Ta naïve Érato fait sourire une belle ;
Que son âme se peint dans ses regards touchants,
Et vole sur sa bouche au-devant de tes chants ;
Qu'elle interrompt ta voix, et d'une voix timide
S'informe de Fanny, d'Églé, d'AdélaÏde ;
Et vantant les honneurs qui suivent tes chansons,
Leur envie un amant qui fait vivre leurs noms ?
III
Mânes de Callimaque, ombre de Philétas,
Dans vos saintes forêts daignez guider mes pas.
J'ose, nouveau pontife aux antres du Permesse,
Mêler des chants français dans les chœurs de la Grèce,
Dites en. quel vallon vos écrits médités
Soumirent à vos vœux les plus rares beautés..
Qu'aisément à ce prix un jeune cœur s'embrase !
Je n'ai point pour la gloire inquiété Pégase.
L'obscurité tranquille est plus chère à mes yeux
Que de ses favoris l'éclat laborieux.
Peut-être, n'écoutant qu'une jeune manie,
J'eusse aux rayons d'Homère allumé mon génie ;
Et d'un essor nouveau, jusqu'à lui m'élevant,
Volé de bouche en bouche heureux et triomphant.
Mais la tendre Élégie et sa grâce touchante
M'ont séduit. L'Élégie à la voix gémissante,
Au ris mêlé de pleurs, aux longs cheveux épars ;
Belle, levant au ciel ses humides regards.
Sur un axe brillant c'est moi qui la promène
Parmi tous ces palais dont s'enrichit la Seine ;
Le peuple des amours y marche auprès de nous ;
La lyre est dans leurs mains. Cortège aimable et doux,
Qu'aux fêtes de la Grèce enleva l'Italie !
Et ma fière Camille est la sœur de Délie.
L'Élégie, ô Le Brun ! renaît dans nos chansons,
Et les muses pour elle ont amolli nos sons.
Avant que leur projet, qui fut bientôt le nôtre,
Pour devenir amis nous offrît l'un à l'autre,
Elle avait ton amour, comme elle avait le mien ;
Elle allait de ta lyre implorer le soutien.
Pour montrer dans Paris sa langueur séduisante
Elle implorait aussi ma lyre complaisante.
Femme, et pleine d'attraits, et fille de Vénus,
Elle avait deux amans "un à l'autre inconnus.
J'ai vu qu'à ses faveurs ta part est la plus belle ;
Et pourtant je me plais à lui rester fidèle ;
A voir mon vers au rire, aux pleurs abandonné,
De rose ou de cyprès par elle couronné.
Par la lyre attendris, les rochers du Riphée
Se pressaient, nous dit-on, sur les traces d'Orphée.
Des murs fils de la lyre ont gardé les Thébains ;
Arion à la lyre a dû de longs destins :
Je lui dois des plaisirs. J'ai vu plus d'une belle,
A mes accents émue, accuser l'infidèle
Qui me faisait pleurer et dont j'étais trahi ;
Et souhaiter l'amour de qui le sent ainsi.
Mais dieux, que de plaisir ! quand muette, immobile,
Mes chants font soupirer ma naÏve Camille ;
Quand mon vers, tour à tour humble, doux, outrageant,
Éveille sur sa bouche un sourire indulgent ;
Quand ma voix altérée enflammant son visage,
Son baiser vole et vient l'arrêter au passage.
O ! je ne quitte pins ces bosquets enchanteurs
Où rêva mon Tibulle aux soupirs séducteurs ; -
Où le feuillage encor dit Corinne charmante ;
Où Cinthie est écrite en l'écorce odorante ;
Où les sentiers français ne me conduisaient pas ;
Où mes pas de Le Brun ont rencontré les pas.
Ainsi, que mes écrits enfants de ma jeunesse,
Soient un code d'amour, de plaisir, de tendresse ;
Que partout de Vénus ils dispersent les traits ;
Que ma voix, que mon aine y vivent à jamais ;
Qu'une jeune beauté, sur la plume et la soie,
Attendant le mortel qui fait toute sa joie,
S'amuse à mes chansons, y médite à loisir
Les baisers dont bientôt elle veut l'accueillir.
Qu'à bien aimer tous deux mes chansons les excitent ;
Qu'ils s'adressent nies vers, qu'ensemble ils les récitent :
Lassés de leurs plaisirs, qu'au feu de mes pinceaux
Ils s'animent encore à des plaisirs nouveaux ;
Qu'au matin sur sa couche à me lire empressée,
Lise du cloître austère éloigne sa pensée ;
Chaque bruit qu'elle entend, que sa tremblante main
Me glisse dans ses draps et tout près de son sein.
Qu'un jeune homme, agité d'une flamme inconnue,
S'écrie aux doux tableaux de ma muse ingénue :
« Ce poëte amoureux, qui me connaît si bien,
Quand il a peint son cœur, avait lu dans le mien. »