Fleurissez, beaux lilas ; et vous, charmantes roses,
Au souffle gracieux des zéphirs caressants,
Livrez avec amour, de vos fleurs demi-closes,
Les parfums ravissants !
L’air est chaud, le ciel bleu, tout renaît et s’anime ;
Un vague enchantement remplit tout l’univers ;
Chaque chose a sa voix murmurante ou sublime,
Chaque être ses concerts.
Grenade, étale au jour ta parure enflammée ;
Roses, du vert laurier, couronnez les rameaux ;
Et toi, bel oranger, que ta fleur embaumée
Par les amants, par les vierges aimée,
Forme d’épais berceaux !
O terre ! enivre-toi de joie et d’allégresse,
Car la vie et l’amour débordent dans ton sein ;
De ton brillant époux le regard te caresse,
Belle et parée, ainsi qu’à ton premier matin,
Quand la main du Très-Haut te lança dans l’espace,
Et qu’œuvre magnifique où brillait sa splendeur,
Dans les champs éthérés tu vins prendre ta place,
Devant les cieux ravis qui t’admiraient en chœur !
Les siècles ont en vain mesuré l’existence,
Des empires cédant à leur pouvoir immense ;
L’homme, ton roi d’un jour, trahi dans son orgueil,
Se voit du trône en vain jeté dans le cercueil ;
Les générations naissent, grandissent, tombent ;
Leurs lois, leurs monuments, leurs mémoires succombent.
Rien ne peut t’attrister ;
Souriant a la mort ainsi qu’à la naissance,
Tu sais que Jéhovah, dans sa magnificence,
T’a donné la puissance
De toujours enfanter.
Du temps, qui nous emporte et joue avec nos vies,
Loin de subir la loi,
Tu le vois ramener tes saisons rajeunies
Et renaître pour toi.
Qui dirait, admirant ta robe de verdure,
Et tes vallons fleuris, et tes riants coteaux,
Et les fleuves d’argent, et tes mers dont les flots
T’embrassent comme une ceinture,
Qui dirait que déjà tant de jours sont passés,
Depuis que l’éternel marqua ta première heure ?....
Ah ! qu’importe en effet qu’un peuple naisse ou meure !
Tu restes, c’est assez :
Car, dans ton sein fécond, que de peuples sans nombre.
Devant sortir un jour du néant et de l’ombre,
Sont encore entassés !
Que de gloires déjà dans le passé perdues ;
Combien de noms fameux effacés par le temps ;
Et de vastes cités à jamais disparues,
Où dorment dans l’oubli les cendres confondues
Du peuple et des tyrans !
O terre ! n’as-tu pas pitié de leur délire,
Quand de ton noble sol se disputant l’empire
Ils combattent sans fin ;
Oubliant que, bientôt tombés dans la poussière
Ils ne conserveront de leur fortune altière
Qu’une couche en ton sein ?
Mais pourquoi souffres-tu, mère aux humains commune,
Que, parmi tes enfants,
Les uns soient condamnés aux pleurs, à l’infortune ;
Tandis que, triomphants,
Les autres, enivrés de leurs richesses vaines,
Se partageant tes monts, tes forêts et tes plaines,
Vers le ciel indigné lèvent un front hautain,
Jetant au pauvre obscur l’insulte et le dédain ?
Dis, ne frémis-tu pas sous leur poids qui t’opprime,
Et, pour les engloutir,
N’as-tu jamais senti, pleins d’une horreur sublime,
Tes flancs prêts à s’ouvrir ?
Non : car tu sais combien de sa toute puissance
L’Eternel est jaloux,
Lui qui s’est réservé la terrible vengeance
Et le brûlant courroux.
Non, globe intelligent, la volonté suprême
T’a révélé qu’un jour,
Des destins immortels, plus grands que les tiens même,
Aux pauvres d’ici-bas qu’elle éprouve et qu’elle aime,
Sont promis et gardés dans un meilleur séjour.
Oui ! ces fils de ton sein, êtres pétris d’argile,
Qu’une journée enfante et voit mourir par mille,
Sont immortels pourtant ;
Comme un parfum divin dans un fragile vase,
Cet homme au corps formé de limon et de vase
Porte un esprit sublime en son sein palpitant,
Une âme que l’amour de tous ses feux embrase
Et que le ciel attend.
Poursuis donc et remplis ta noble destinée,
Belle comme une épouse à son jour d’hyménée,
Redouble de fécondité ;
Qu’importe, si des pleurs, tombant sur ta poussière,
De nos jours passagers attestent la misère
Et la stérilité ;
Sois orgueilleuse, ô terre, et bondis d’allégresse,
Car le Seigneur t’a dit : « Œuvre de ma sagesse,
« Enfante pour l’éternité !