Oh ! qui m’eût dit jamais, quand de tes chants ravie,
Recueillant tous les sons de ce luth immortel,
De mon cœur qu’enivrait ta sainte poésie,
A ton harmonieux et sublime génie
J’avais fait un autel ;
Quand, au sein de ce monde, où le malheur isole,
Ton livre, confident de mes chagrins divers,
Etait pour moi l’ami, dont la tendre parole
A toutes nos douleurs se mêle, et nous console
Des jours les plus amers ;
Quand tes hymnes aimés, que notre orgueil répète,
A tous les cœurs prêtant de sublimes accords,
Des superbes palais à mon humble retraite,
En échos glorieux descendaient, ô poète !
Qui m’aurait dit alors
Qu’un jour ce divin luth et cette voix si chère,
De mon culte ignoré daignant bénir l’encens,
Au milieu de ta haute et brillante carrière,
Auraient aussi pour moi, pauvre enfant solitaire,
De célestes accens ?
Quoi ! mon sort inconnu, cette vie écoulée
Dans l’ombre et le travail, loin du monde et du bruit,
Ainsi qu’un filet d’eau caché dans la vallée,
Dont l’onde, en murmurant, va se perdre, mêlée
Au torrent qui s’enfuit ;
Et ces douleurs sans nom, cet ennui qui dévore,
De mon cœur affligé mal intime et puissant,
Voilé par un sourire, et que la foule ignore,
Quand son regard joyeux, sur mon front jeune encore,
Parfois tombe en passant ;
Ta voix les a chantés, ta voix mélodieuse,
De ton cœur généreux, interprète divin,
Qui, pour toute infortune obscure ou glorieuse,
Change en sons immortels, en plainte harmonieuse,
Les soupirs de ton sein.
Oui ! souvent, il est vrai, dans l’air qui m’environne
Passent brillants et beaux des rêves enchanteurs ;
Puis, la réalité m’étreint, et je frissonne,
Et faible, au désespoir mon âme s’abandonne,
Et je verse des pleurs.
Cependant ne crois pas que je reste vaincue ;
Non ! les maux d’ici-bas redoublent ma fierté ;
Bientôt, se relevant, ma pensée abattue
Embrasse l’univers, et de son étendue
Franchit l’immensité.
Loin de ce lieu d’exil où mon âme se glace,
Où nul rayon d’espoir ne vient luire à mes yeux,
S’élançant par delà les mondes et l’espace,
Elle cherche plus haut et son but et sa place,
Elle cherche les cieux.
Là, le fils adoré de la Vierge féconde,
Le Dieu de vérité, de grâce et de vertu,
En qui dos cœurs souffrants l’unique espoir se fonde.
Me tend ses bras divins qui soutiennent le monde
Et le pauvre abattu.
« Venez à moi, dit-il, vous que la terre oublie,
« Dont les pas chancelants tremblent sous vos fardeaux ;
« J’ai pour vous consoler des paroles de vie,
« O vous tous qui pleurez, et dont le cœur n’envie
« Que la paix des tombeaux ! »
Ah ! que d’un monde vain l’éclat semble frivole,
A l’œil qui, s’enivrant d’éternelle splendeur,
A, sur le front des saints, vu briller l’auréole,
Et la grâce couler en céleste parole
Des lèvres du Seigneur.
Aussi, me recueillant dans mon obscur asile,
Je sens, paisible et fort, mon cœur nourri d’espoir ;
Que m’importent la pompe et le bruit de la ville ?
Mon sommeil n’en est pas moins doux ni moins tranquille
A l’heure où vient le soir.
Puis, je relis encor ces pages tant aimées,
Où s’exhala ton âme en ravissants concerts,
Et pour monter à Dieu de mes lèvres charmées
L’ardent soupir s’élève en notes enflammées,
Je prie avec tes vers.
Et ta douce promesse en naissant accomplie,
Me fait bénir déjà les pleurs que j’ai versés ;
Car une larme seule en ton sein recueillie,
Et mêlée à tes flots d’amour et d’harmonie,
Pour ma gloire est assez. —
Quand de son trône d’or, l’astre qui nous éclaire,
Au sein d’une humble source a plongé ses rayons,
L’onde, où se réfléchit sa splendide lumière,
Roule un instant ses feux dans sa courte carrière
Et brille de ses dons.
Ainsi, quand ton génie, éclairant ma jeunesse.
M’inonda tout à coup d’ineffables clartés,
Mon âme a ses rayons s’ouvrant avec ivresse,
Mêla tous ses accents de joie ou de tristesse
A tes sons enchantés ;
Ainsi, comme un écho, ma voix s’est fait entendre,
Et dans mes faibles chants s’il est quelque douceur,
Oh ! c’est qu’alors ton souffle harmonieux et tendre,
De ce parfum divin que toi seul sais répandre,
Avait rempli mon cœur.