À l’idéal

 
Un morne abattement pèse sur ma pensée.
La vie hélas ! n’est point où je l’avais placée.
L’illusion est vide et vide est le bonheur.
L’amour ne suffit point à remplir notre cœur.
Cherchant partout le Dieu, trouvant partout l’idole,
Je change chaque jour d’autel et de symbole.
L’ombre de l’Idéal, le fantôme du beau
Me suit partout, armé du mystique flambeau.
Quel que soit l’horizon où mon pied s’aventure,
Que l’amitié, l’amour, que l’Art et la nature
Soient mes hôtes sacrés, - sombre ou les yeux railleurs,
Toujours il m’apparaît : « Debout ! et cherche ailleurs !
Ici ta faim du vrai ne peut être assouvie !
Lève toi ! marche ! aspire! Ici n’est point la vie ! »
La vie, où donc est-elle, ô fantôme adoré ?
Commande, j’obéis ! dis-moi le but, j’irai !
Je n’ai point, infidèle à tes rêves splendides,
Prostitué mon âme aux passions sordides.
Vierge comme mon cœur, mon culte t’est resté.
Que veux-tu donc de moi, réponds, spectre irrité ?
Triste et fervent je t’aime, et ta voix qui me blesse,
Comme un crime punit l’erreur ou la faiblesse.
Esprit fragile, esprit fait de chair et mortel,
Pour la divinité j’ai pu prendre l’autel ;
Mais dans l’âme et les sens, dans toute la nature,
Beauté ! c’est toi que j’aime et non la créature.
Dans l’ondoîment des mers, dans la courbe des cieux,
C’est toi que suit mon vol, toi qu’implorent mes yeux.
Dans la femme ou la fleur, ce qui brille ou respire,
Être fatal et cher, c’est toi vers qui j’aspire !
La terre et l’air et l’onde aux longs embrassements,
Tout est pour moi peuplé de tes pressentiments.
Pour te trouver, vêtu de la robe homicide,
Je passerais joyeux par le bûcher d’Alcide.
Idéal ! Idéal ! pourquoi suis-je puni
De porter dans mon cœur ton désir infini ?
Pourquoi nous fuir toujours ? pourquoi railler nos chutes ?
Gémis de nos erreurs, vois en pitié nos luttes !
Prends un corps, viens sentir, fantôme trop aimé,
De quelle ardeur pour toi mon sein est consumé !
Dans un être sans tache incarne ton image !
Fais-moi don d’un cœur haut et qui mérite hommage !
Mais si, rêveur déçu, nul ne doit ici-bas
Rencontrer la Psyché vers qui s’ouvrent ses bras ;
Si je ne dois qu’au ciel voir marcher ma statue,
Guéris-moi de l’attente et du doute qui tue !
Hâte pour moi le jour de la pure beauté,
Abrège mon épreuve, ô ma divinité !
Ne faut-il que mourir pour te donner mon âme,
Je suis prêt ! sur mon front fais descendre la flamme !
Consumant le vieil homme à ton sacré flambeau,
Ouvre enfin devant moi les demeures du beau !

Collection: 
1835

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