À François de Pange

 
I

De Pange, le mortel dont l'âme est innocente,
Dont la vie est paisible et de crimes exempte,
N'a pas besoin du fer qui veille autour des rois ;
Des flèches dont le Scythe a rempli son carquois ;
Ni du plomb que l'airain vomit avec la flamme.
Incapable de nuire, il ne voit dans son âme
Nulle raison de crainte, et loin de s'alarmer,
Confiant, il se livre aux délices d'aimer.
O de Pange ! ami sage, est bien fou qui s'ennuie.
Si les destins deux fois nous permettaient la vie,
L'une pour les travaux et les soins vigilants,
L'autre pour les amours, les plaisirs nonchalants,
On irait d'une vie âpre et laborieuse
Vers l'autre vie au moins pure et voluptueuse.
Mais si nous ne vivons, ne mourons qu'une fois,
Eh ! pourquoi malheureux sous de bizarres lois,
Tourmenter. cette vie et la perdre sans cesse ?
Haletants vers le gain, les honneurs, la richesse ;
Oubliant que le sort immuable en son cours,
Nous fit des jours mortels, et combien peu de jours !
Sans les dons de Vénus quelle serait la vie ?
Des l'instant où Vénus me doit être ravie,
Que je meure. Sans elle ici-bas rien n'est doux.
Humains, nous ressemblons aux feuilles d'un ombrage
Dont au faîte des cieux le soleil remonté,
Rafraîchit dans nos bois les chaleurs de l'été,
Mais l'hiver, accourant d'un vol sombre et rapide,
Nous sèche, nous flétrit ; et son souffle homicide
Secoue et fait voler, dispersés dans. les vents,
Tous ces feuillages morts qui font place aux vivants.
La Parque sur nos pas fait courir devant elle
Midi, le soir, la nuit, et la nuit éternelle ;
Et par grâce, à nos yeux qu'attend le long sommeil,
Laisse voir au matin un regard du soleil.
Quand cette heure s'enfuit, de nos regrets suivie,
La mort est désirable, et vaut mieux que la, vie.
0 jeunesse rapide ! ô songe d'un moment !
Puis l'infirme vieillesse, arrivant tristement,
Presse d'un malheureux la tête chancelante,
Courbe sur un bâton sa démarche tremblante ;
Lui couvre d'un nuage et les yeux et l'esprit,
Et de soucis cuisants l'enveloppe et l'aigrit :
C'est son bien dissipé, c'est son fils, c'est sa femme,
Ou les douleurs du corps, si pesantes à l'âme ;
Ou mille autres ennuis. Car, hélas ! nul mortel
Ne vit exempt de maux sous la voûte du ciel.
0 ! quel présent funeste eut l'époux de l'aurore,
De vieillir chaque jour, et de vieillir encore,
Sans espoir d'échapper à l'immortalité !
Jeune, son front plaisait. Mais quoi ! toute beauté
Se flétrit sous les doigts de l'aride vieillesse.
Sur le front du vieillard habite la tristesse ;
Il se tourmente, il pleure, il veut que vous pleuriez :
Ses yeux par un beau jour ne sont plus égayés.
L'ombre épaisse et touffue et les prés et Zéphire
Ne lui disent plus rien, ne le font plus sourire.
La troupe des enfants, en l'écoutant venir,
Le fuit, comme ennemi de leur jeune plaisir ;
Et s'il aime, en tous lieux sa faiblesse exposée
Sert aux jeunes beautés de fable et de risée.

II

De Pange, ami chéri, jeune homme heureux et sage,
Parle ; de ce matin, dis-moi 1 est l'ouvrage ?
Du vertueux bonheur montres-tu les chemins
A ce frère naissant, dont j'ai vu que tes mains
Aiment à cultiver la charmante espérance ?
Ou bien vas-tu cherchant dans l'ombre et le silence
Seul, quel encens le Gange aux flots religieux
Vit les premiers humains brûler aux pieds des dieux ?
Ou comment dans sa route, avec force tracée,
Descartes n'a point su contenir sa pensée ?
Consumant ma jeunesse en un loisir plus vain,
Seul, animé du feu que nous nommons divin,
Qui pour moi chaque jour ne luit qu'avec l'aurore,
Je rêve assis au bord de cette onde sonore,
Qu'au penchant d'Hélicon, pour arroser ses bois,
Le quadrupède ailé fit jaillir autrefois.
A nos festins d'hier, un souvenir fidèle
Reporte mes souhaits, me flatte, me rappelle
Tes pensers, tes discours, et quelquefois lés miens ;
L'amicale douceur de tes chers entretiens,
Ton honnête candeur, ta modeste science,
De ton cœur presque enfant la mûre expérience.
Poursuis : dans ce bel âge où faibles nourrissons
Nous répétons à peine un maître et ses leçons,
Il est beau dans les soins d'un solitaire asile,
(Même dans tes amours, doux, aimable, tranquille)
De savoir loin des yeux, sans faste, sans fierté,
Sage pour soi, content, chercher la vérité.
Va, poursuis ta carrière ; et sois toujours le même,
Sois heureux, et Surtout aime un ami qui t'aime.
Ris de son cœur débile aux désirs condamné,
De l'étude aux amours sans cesse promené,
Qui toujours approuvant ce dont il fuit l'usage,
Aimera la sagesse, et ne sera point sage.

III

Quand la feuille en festons a couronné les bois
L'amoureux rossignol n'étouffe point sa voix.
Il serait criminel aux yeux de la nature,
Si de ses dons heureux négligeant la culture,
Sur son triste rameau, muet dans ses amours,
Il laissait sans chanter expirer les beaux jours.
Et toi, rebelle aux dons d'une si tendre mère,
Dégoûté de poursuivre une muse étrangère
Dont tu choisis la cour trop bruyante pour toi,
Tu t'es fait. du silence une coupable loi !
Tu naquis rossignol. Pourquoi loin du bocage
Où des jeunes rosiers le balsamique ombrage
Eût redit tes doux sons sans murmure écoutés,
T'en allais-tu chercher la muse des cités ?
Cette muse, d'éclat, de pourpre environnée,
Qui le glaive à la main, du diadème ornée,
Vient au peuple assemblé, d'une dolente voix,
Pleurer les grands malheurs, les empires, les rois ?
Que n'étais-tu fidèle à ces muses tranquilles
Qui cherchent la fraîcheur des rustiques asiles,
Le front ceint de lilas et de jasmins nouveaux,
Et vont sur leurs attraits consulter les ruisseaux ?,
Viens dire à leurs concerts la beauté qui te brûle.
Amoureux, avec l'âme et la voix de Tibulle,
Fuirais-tu les hameaux, ce séjour enchanté
Qui rend plus séduisant l'éclat de la beauté ?
L'amour aime les champs, et les champs l'ont vu naître.
La fille d'un pasteur, une vierge champêtre,
Dans le fond d'une rose, un matin du printemps,
Le trouva nouveau-né........................
Le sommeil entr'ouvrait ses lèvres colorées.
Elle saisit le bout de ses ailes dorées,
L'ôta de son berceau d'une timide main,
Tout trempé de rosée, et le mit dans son sein.
Tout, mais surtout les champs sont restés son empire.
Là tout aime, tout plaît, tout jouit, tout soupire ;
Là de plus beaux soleils dorent l'azur des cieux ;
Là les prés, les gazons, les bois harmonieux,
De mobiles ruisseaux la colline animée,
L'aine de mille fleurs dans les zéphyrs semée ;
Là parmi les oiseaux l'amour vient se poser ;
Là sous les antres frais habite le baiser.
Les muses et l'amour ont les mêmes retraites.
L'astre qui fait aimer est l'astre des poètes.
Bois, écho, frais zéphyrs, dieux champêtres et deux,
Le génie et les vers se plaisent parmi vous.
J'ai choisi parmi vous ma muse jeune et chère ;
Et bien- qu'entre ses sœurs elle soit la dernière,
Elle plaît. Mes amis, vos yeux en sont témoins.
Et puis une plus belle eût voulu plus de soins ;
Délicate et craintive, un rien la décourage,
Un rien sait l'animer. Curieuse et volage,
Elle va parcourant tous les objets flatteurs,
Sans se fixer jamais ; non plus que sur les fleurs
Les zéphyrs vagabonds, doux rivaux des abeilles,
Ou le baiser ravi sur des lèvres vermeilles.
Une source brillante, un buisson qui fleurit,
Tout amuse ses yeux ; elle pleure, elle rit.
Tantôt à pas rêveurs, mélancolique et lente
Elle erre avec une onde et pure et languissante ;
Tantôt elle va, vient, d'un pas léger et sûr
Poursuit le papillon brillant d'or et d'azur,
Ou l'agile écureuil, ou dans un nid timide
Sur un oiseau surpris pose une main rapide.
Quelquefois, gravissant la mousse du rocher,
Dans une touffe épaisse elle va se cacher ;
Et sans bruit épier sur la grotte pendante
Ce. que dira le Faune à la Nymphe imprudente
Qui dans cet antre sourd et des faunes ami
Refusait de le suivre, et pourtant l'a suivi.
Souvent même, écoutant de plus hardis caprices.,
Elle ose regarder au fond des précipices
Où sur le roc mugit le torrent effréné,
Du droit sommet d'un mont tout-à-coup déchaîné.
Elle aime aussi chanter à la moisson nouvelle,
Suivre les moissonneurs et lier la javelle.
L'Automne au front vermeil, ceint de pampres nouveaux,
Parmi les vendangeurs l'égare en des coteaux ;
Elle cueille la grappe, ou blanche, ou purpurine ;
Le doux jus des raisins teint sa bouche enfantine.
Ou, s'ils pressent leurs vins, elle accourt pour les voir,
Et son bras avec eux fait crier le pressoir.
Viens, viens, mon jeune ami ; viens, nos muses t'attendent ;
Nos fêtes, nos banquets, nos courses te demandent ;
Viens voir ensemble et l'antre et l'onde et les forêts.
Chaque soir une table, aux suaves apprêts,
Asseoira près de nous nos belles adorées.
Ou, cherchant dans le bois des nymphes égarées,
Nous entendrons les ris, les chansons, les festins ;
Et les verres emplis sous les bosquets lointains
Viendront animer l'air ; et du sein d'une treille
De leur voix argentine égayer notre oreille.
Mais si, toujours ingrat à ces charmantes sœurs,
Ton front rejette encor leurs couronnes de fleurs,
Si de leurs soins pressons la douce impatience
N'obtient que d'un refus la dédaigneuse offense,
Qu'à ton tour la beauté dont les yeux t'ont soumis
Refuse à tes soupirs ce qu'elle t'a promis.
Qu'un rival loin de toi de ses charmes dispose ;
Et quand tu lui viendras présenter une rose,
Que l'ingrate étonnée, en recevant ce don,
Ne t'ait vu de sa vie et demande ton nom.

Collection: 
1782

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