À Béranger

 
O poète, pourquoi punir par ton silence
Tant de cœurs malheureux à ta voix suspendus !
D’un pouvoir corrupteur châtiant l’insolence,
Rends au peuple indigné tes chants qui lui sont dus !
Parmi ses défenseurs la Liberté te nomme.
Viens de ses ennemis déjouer les complots.
Lourde à tous, la tourmente est dans l’air, ô grand homme !
           Que ta voix chante sur les flots !
 
Parle ! notre âge est sombre et demande un Moïse.
Parle ! suscite un guide en nos mornes déserts,
Rappelle à Pharaon la liberté promise,
Rappelle-lui quel sort l’attend au fond des mers.
Dis-lui bien que, semblable au Nil aux eaux fertiles,
Il devrait enrichir et féconder nos bords,
Et non pas dévorer de ses flots inutiles
           Et nos moissons et nos trésors !

Et quel plus triste objet de honte et de colère
Que ce roi quémandeur aux appétits sans fin,
Qui, buvant à longs traits la sève populaire,
De dots a toujours soif et d’or a toujours faim !
Encor si c’était tout ! mais, ô comble de honte !
D’un peuple descendu suprême abaissement !
O France ! à ton drapeau l’outrage aujourd’hui monte,
           L’outrage monte impunément.

Non ! ce n’est point ainsi qu’en des siècles impies
Les inspirés d’en haut se révélaient aux rois :
Sur des âmes de fange et de lucre pétries,
Comme l’eau du torrent, ils répandaient leurs voix.
Ils réveillaient le peuple endormi dans la poudre ;
Ils faisaient dans son cœur passer l’esprit de Dieu,
Et sur les fronts impurs lançaient comme la foudre
           L’anathème aux ailes de feu.

Descends donc dans l’arène et ressaisis ta lyre !
Viens du peuple exalter les généreux penchants.
Ton pays qu’a vengé ta vaillante satire
Dans ses jours de détresse a besoin de tes chants.
O citoyen poète à l’âme haute et libre,
Viens lutter et combattre et vaincre pour nos droits !
Sois encor, sois toujours ce cœur fier dont la fibre
           Fit trembler ministres et rois.

Poursuis ta noble tâche et ton œuvre bénie.
Tout globe au sein des nuits a droit à son flambeau ;
Et l’homme à qui le ciel imposa le génie
Ne doit se reposer qu’en entrant au tombeau.
Debout ! à ton pays tu dois ta vie entière ;
Et pareil en ta marche à l’astre roi des jours,
Poète, ne suspends ton œuvre de lumière
           Qu’après avoir rempli ton cours.

Collection: 
1835

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