Mort pour la Patrie.
Câest ici que tomba lâélite de nos Braves,
Câest ici que mon frère est mort pour son pays,
Mort, Ã vingt ans, sous les canons bataves,
La tête emportée en débris.
Oh ! celui-là du moins nâa pas jeté ses armes,
Nâa pas abandonné son poste périlleux ;
Inaccessible et sourd à dâindignes alarmes,
Il est tombé sans peur et sans baisser les yeux.
Câest bien ! il a rempli sa tâche,
Et nul, mon Père, ne viendra
Te dire : Ton fils fut un lâche.
Câest bien ! gloire à qui le suivra !
Gloire ? non, non, pitié, pitié pour tous ces hommes
Pour qui le don dâun sabre est un bienfait du ciel,
Qui, lâÅil tout rayonnant, répondent : nous y sommes ;
Quand du tambour ils entendent lâappel ;
Plongent dans les combats comme au fond dâune orgie,
Et, de retour au camp sous un drapeau vainqueur,
Jettent de longs regards sur la plaine rougie
Où sous le feu sâexalta leur valeur ;
Puis tombent, égarés, sur un lit de souffrance,
Et meurent dans leur sang en se plaignant tout haut
Que le vieux général qui guida leur vaillance
Toujours au camp les ramène trop tôt.
Soldats ! pour le bonheur du monde,
Vous ne pouvez plus rien ; non, vos chefs ne sont plus
Les symboles vivants du Verbe qui féconde :
Place donc à dâautres élus !
Place ! lâhumanité ne veut plus de la guerre,
Et, du sein de vos rangs troués par le canon,
Ne sâélancera plus au sommet de la terre
Charlemagne ou Napoléon.
En vain reclouez-vous le char de la vengeance,
Dans la tranchée, en vain, rougissent les boulets,
Sâajuste la cuirasse et s aiguise la lance,
Et frémit lâacier des mousquets ;
Dieu ne permettra pas que votre main impure
Brise lâagrafe dâor de la riche ceinture
Dâamour et de beauté,
Que lui-même a nouée autour des flancs sauvages
De la terre souffrante et livrée aux ravages
De lâhomme révolté,
Pour calmer ses douleurs, pour amortir ses haines,
Et pour transmettre au sang qui coule dans ses veines
Sa propre sainteté.
Jetez donc là le glaive et ce sombre plumage
Qui se flétrit et tombe au souffle de la Paix,
Et jonchera bientôt de son vain étalage
Lâantichambre de nos palais.
Soldats ! je vous le dis : lâhomme est las de la guerre.
Le sang versé par vous sera du sang perdu,
Quelque pur quâil puisse être ; aussi le tien, mon frère,
Fut-il vainement répandu,
Et ne fera-t-il pas, au fond de nos vallées,
Disparaître et périr lâherbe aux sucs vénéneux,
Ni pousser, dans nos champs, des gerbes étoilées
Aux épis plus nombreux.
Et pourtant je ne puis te plaindre,
Je ne regrette pas ta mort,
Et je sens, chaque jour, sâéteindre
Ma tendre pitié pour ton sort.
Ãchappé grand et pur dâun combat trop funeste,
On aurait fait de toi ce quâon a fait de nous ;
On tâaurait vendu, frère, en masse, avec le reste,
A notre vieux maître en courroux,
Tandis que maintenant, loin dâun peuple dâesclaves,
Tu dors enveloppé dans ton grand manteau bleu,
Tu dors heureux et libre et cher à tous les braves
Au sein paternel de ton Dieu !